Coronavirus : en Tunisie, un centre de confinement pour les femmes victimes de violences

Ouvert le 2 avril par les autorités, le lieu accueille des femmes en proie à l’agressivité de leur famille ou de leur conjoint.

Par Lilia Blaise Publié hier à 18h00, mis à jour hier à 19h27

La cour intérieure du centre, en avril 2020.
La cour intérieure du centre, en avril 2020. LILIA BLAISE

Le lieu est bâti comme un caravansérail avec son petit jardin bien protégé au centre. Un lieu paisible, loin des regards et du bruit de la ville. Au deuxième étage, le calme des chambres des résidentes n’est troublé que par le son d’une télé, d’enfants qui jouent ou la voix de la psychologue.

Pour cette dernière semaine du confinement général, la moitié des dix chambres étaient remplies. Dans l’une d’elles, une jeune étudiante, victime de violences familiales, suit ses cours en ligne à côté d’une mère de famille qui surveille ses deux enfants et d’une migrante ivoirienne, sans papiers, mise à la rue par son propriétaire.

La plupart des femmes qui vivent là sont arrivées ces dernières semaines, escortées d’un représentant du ministère de l’intérieur, après avoir appelé une ligne verte, une association ou les unités spécialisées. Le ministère de la femme, en partenariat avec la société civile, a ouvert ce refuge le 2 avril pour les victimes de violences pendant le confinement total et le couvre-feu sanitaire.

« Il fallait faire face à la recrudescence de violences contre les femmes pendant cette période. Les victimes ne peuvent pas accéder aux refuges existants car elles risqueraient de contaminer les autres femmes déjà sur place », explique Salwa Kennou, présidente de l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (Afturd) et en charge du centre.

Rompre l’isolement

L’endroit a été équipé spécifiquement pour l’isolement et le confinement sanitaire avec un soutien financier de l’Unfpa (Fond des Nations unies pour la population) de 18 000 dinars (quelque 7 000 dollars). Tout ce qu’il fallait a été fourni « pour encourager les femmes à rester isolées. Elles n’ont pas le droit de se rendre visite, même si leurs chambres sont adjacentes », détaille Rym Fayala, représentante et assistante de l’Unfpa en Tunisie.

Le personnel du centre au dernier étage de l’établissement, en avril 2020.
Le personnel du centre au dernier étage de l’établissement, en avril 2020. LILIA BLAISE

Bien sûr, pour rompre l’isolement et faire oublier le traumatisme des violences passées, certaines communiquent brièvement avec le personnel bénévole, souvent des voisins et en majorité des jeunes. « Nous leur parlons lorsque nous leur apportons le plateau-repas ou lorsque nous prenons leur linge à laver, mais nous devons garder les distances sanitaires. Pour elles comme pour nous », explique, Amine Letaief, 27 ans, bénévole.

Avec le confinement total et le couvre-feu, les violences envers les femmes ont nettement augmenté en Tunisie comme en témoignent les chiffres des associations et les appels à la ligne verte du ministère de la femme, multipliés par neuf cette dernière semaine d’avril.

« D’habitude, nous recevons 40 femmes par mois en moyenne au centre d’écoute de Tunis. Là, depuis le 1er avril, nous avons reçu 156 plaintes », observe Sherifa Tlili, coordinatrice de la commission violences au sein de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), même si l’accueil, l’orientation juridique et le suivi psychologique se font désormais par téléphone.

Quasi complet dès son ouverture

Le 15 avril, une trentaine d’associations se sont coordonnées avec le ministère de la femme après avoir adressé une lettre ouverte au gouvernement. « Nous recevons aussi des plaintes au niveau du groupe EnaZeda [#metoo tunisien] sur Facebook et nous réorientons automatiquement vers la ligne verte ou vers les associations. C’est vrai qu’il y a eu une réactivité de la part des autorités, mais il faut sensibiliser davantage », estime Sonia Ben Miled, en charge de la communication de l’association Aswat Nissa.Lire aussi  #EnaZeda, le #metoo tunisien est né

A son ouverture, le centre affichait quasiment complet même si, pour les associations régionales de lutte contre les violences faites aux femmes, il reste trop peu accessible. « Lorsque nous recevons l’appel d’une femme en détresse, c’est très compliqué de la transférer d’un gouvernorat à un autre, à cause de l’autorisation de circuler », témoigne Karima Brini, présidente de l’association Femme et citoyenneté dans la région du Kef, dans le nord-ouest du pays.

L’éviction des agresseurs comme le prévoit la loi lui semblerait la première urgence et devrait à ses yeux être suivi d’un hébergement de la victime dans des structures hôtelières privées ou étatiques ou des logements sociaux disponibles.

Depuis 2017 et le vote d’une loi contre les violences basées sur le genre, l’accompagnement de la femme victime de violences est certes prévu, mais l’arrivée du Covid-19 a compliqué les procédures. Et c’est seulement ce lundi que les juges aux affaires familiales doivent reprendre du service dans les tribunaux et appliquer à nouveau les procédures d’éloignement du conjoint.

Si le centre reste un lieu de transition, les autorités réfléchissent à le pérenniser pendant tout le déconfinement. Une fois passée leur période de quarantaine observée, ces femmes pourront après test de dépistage rejoindre un centre pérenne ou retourner dans leur famille, si elles le souhaitent.

Lilia Blaise(Tunis, correspondance)

lemonde.fr

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