Covid-19 en 2020 : Sidération et confusion des singularités dans la terreur

Lorsque tout va bien et que la Santé sourit à la Vie des Humains, de manière générale, l’espace public se sature de l’expression de toutes les figures de l’orgueil propre au genre humain. L’arrogance de certains hommes de Lettres, ceux en particulier qui ont élu demeure dans les média, comme la télévision – ce gigantesque miroir déformant de la société et scène des vanités de toutes sortes – est sans mesure.

Depuis la pandémie du Covid-19 à travers notre commune planète Terre, on n’entend plus personne sur quelque sujet que ce soit. Même ceux qui prétendent distribuer des normes de la nationalité française, voire de l’authenticité des noms français, sans en avoir pour autant les caractéristiques autochtones, sont réduits au silence.

En effet, face à la mort, il n’y a plus de différence qui vaille. Au cours des temps propices à la santé publique, ces personnes si infatuées d’elles-mêmes, prétendument écrivains ou philosophes, ne cessent de brailler, de vociférer, d’être enchantées par leurs propres imprécations contre des catégories d’êtres humains qu’ils ne connaissent, d’ailleurs, nullement ; tels que les habitants des banlieues de villes françaises. Elles agissent, ainsi, comme si elles étaient dénuées de raison. Autrement, ces pseudo-intellectuels seraient sujets au discernement, à la lucidité qui éclaire nécessairement la raison de chacun de nous sur la complexité inhérente aux phénomènes humains par-delà leur apparente simplicité. Celle-ci n’est qu’une vision de la ratiocination. Ils préfèrent produire des tonnes de livres à la manière de certains romanciers qui possèdent une recette et/ou scénario qu’ils répètent à longueur de leurs écrits ; au lieu de prendre le temps nécessaire pour penser les problèmes essentiels des Humains et proposer à ceux-ci des perspectives d’avenir comme l’ont fait les « Pionniers de l’ Humanité » comme Nietzsche appelle les grands esprits de la Philosophie, du dix-septième siècle notamment, qui ont conçu et théorisé le sens de notre monde moderne.

  La mort est la substance réelle des phénomènes humains : elle confond et réduit tout au pur néant. Que l’on soit puissant politiquement, intellectuellement, financièrement, elle n’en a cure. Elle cisaille les aspérités comme un jardinier coupe une haie. Elle les broie dans les profondeurs de la terre pour signifier à quel point notre existence orgueilleuse elle-même n’est absolument rien. Le genre humain se croit tellement supérieur à tout autre vivant, voire tout puissant qu’il en vient à se prendre pour le Divin. Hélas pour lui : les occurrences présentes démontrent manifestement qu’il n’en est pas ainsi. Pire, il n’est rien ; rien du tout, qu’il en soit ou non conscient. Etrange puissance (celle des Humains) que la moindre bactérie, le moindre virus peut effacer de la surface de notre commune Terre un jour prochain !

 D’ailleurs, de quelque nature qu’elle soit, qu’est-ce que la puissance ? Quand l’organisation technico-scientifique du monde humain suit son cours ordinaire, « le narcissisme des nations » l’emporte sur toute mesure raisonnable par la vanité. On se complait à parler de grandes puissances par le degré de sophistication des structures sociales, du nombre incommensurable des armes (inutiles face à la destruction massive présente de vies humaines par un virus, le bien nommé coronavirus), de la richesse globale des données de l’économies de ces pays, de la solidité de leurs finances etc. Il est question des plus riches hommes du monde comme Jeff Bezos avec ses 145 milliards de dollars (qu’en aurai-il fait si le Covid-19 l’avait emporté ? Etre enterré avec ces bouts de papier – car cette fabuleuse fortune n’est rien d’autre que cela – ?) Mais, dans l’état actuel de la pandémie du coronavirus, que fait-on de tous ces indicateurs de puissance, de ces montagnes de dollars ou d’euros ? S’en sert-on pour éradiquer cette pandémie ? Ont-ils même quelque effet sur le désarroi de l’Humanité contemporaine ?

 A l’inverse, on constate avec étonnement et, parfois, avec amertume que la catastrophe annoncée dans les pays pauvres, en particulier les pays Africains, du fait de cette pandémie, tarde à se produire. Quelques-uns ont même le culot d’afficher des performances inégalées par rapport aux pays riches, voire très riches, selon l’expression consacrée, tels que les Etats-Unis. En réalité, il n’y a ni puissants ni faibles ni riches ni pauvres dans la maladie et dans la mort. Il s’agit là de catégories illusoires qui concernent des gens bien portants. En fait, les plaisirs de l’existence nous inclinent à les considérer comme des réalités… A titre d’exemple : la Mauritanie, l’un des pays les plus pauvres au monde, selon les données ci-dessus, ne compte qu’un décès avéré par le Covid-19 dont 17 cas recensés, selon le ministère de la santé de ce pays (22 avril 2020). La maîtrise de la situation de la santé publique est presque totale à présent. C’est ce que confirme le « Courrier international » en ligne du 24/4/2020. Il y est écrit en effet : « La Mauritanie, championne de la lutte contre le Covid-19. Des résultats obtenus notamment grâce à une réponse très rapide de l’Etat ». Madagascar se targue d’avoir trouvé des traitements contre ce virus par l’efficience de plantes susceptibles de soigner les personnes infectées par le Covid-19.

 Face à cette hypothèse, aussitôt on brandit l’étendard des conditions de vérification et d’expérimentation scientifiques. Mais, qu’est-ce donc que la science ? Celle à laquelle on attribue, depuis le XVIIe siècle (l’orgueilleuse invention des philosophes de cette époque) le pouvoir de prévoir ou de prédire les événements ? Que prédit-elle à vrai dire ? On définit la prédiction comme ce qui permet de prévoir des faits à venir à partir d’éléments donnés ou connus ; c’est-à-dire d’annoncer ce qui doit arriver. En d’autres termes, il s’agit d’anticiper un événement, de spéculer sur ce qui va se passer dans le futur. Au regard de ces précisions, on peut dire que la seule prédiction possible en science se rencontre en physique. Mais, même dans ce champ de savoir, il n’y a pas à proprement parler de prédiction. Il s’agit de l’observation et de la mathématisation des cours réguliers et des mouvements constants des astres, comme les éclipses du soleil ou de la lune. Notre science ne peut rien y modifier. En ce sens, la science dite moderne n’a pas plus avancé que les savoirs tirés des philosophes chaldéens et des mathématiciens égyptiens de l’observation des mêmes astres proches ou lointains. On peut seulement accorder à la nôtre la finesse et la précision de ses calculs ou de ses modèles mathématiques ; voire la nouveauté de ses théories des mondes physiques qui élargissent notre vision du Cosmos.

  Autrement, qui peut prétendre que la science est prédictive ? Depuis le dix-neuvième siècle, a-t-on déjà remarqué que les sciences du vivant, lesquelles sont d’autant plus complexes qu’elles demeurent toujours inachevées, ont su ou pu prévoir l’émergence virtuelle d’une pandémie quelconque ? Dès lors que la nature ne nous a pas dotés d’une raison prédictive, mais toujours réactive, celle-ci a produit, en conséquence, des sciences qui sont conformes à sa nature. Elles ignorent ce qu’est la prédiction des phénomènes catastrophiques ou scabreux pour l’Humanité (individuelle ou globale) comme la grippe espagnole de 1918-1919 qui a provoqué la mort de cent millions d’individus. Elles sont réduites à réagir pour tâcher de réparer ce qui est réparable, de parer à l’urgence mortifère ; ce qui est toujours une méthode d’action empirique à l’instar des essais de la vie ou de la construction d’une existence humaine. Dans un tel état d’urgence, c’est l’éclipse de la raison scientifique. De nos jours, on a tendance à vénérer celle-ci ( du moins, c’est depuis le dix-neuvième siècle qu’on est entré dans le culte aveugle de la science avec le triomphe du scientisme à la manière de Marcellin Berthelot) comme une déesse capable de répondre à nos questionnements, voire de résoudre nos problèmes, notamment de santé.

  Ce faisant, on confond la techno-science et la science. Cette dernière a toujours été définie comme le savoir universel désintéressé des phénomènes pour le plaisir de les connaître ; ce qui est une manière élégante de rendre gloire à la magnificence de l’intelligence ou de la raison humaines. En revanche, la techno-science, celle du XXe siècle, est fondée essentiellement sur des recettes limitées à des sphères étroites dans l’ignorance de la complexité des phénomènes. En ce sens, elle triche avec le Réel et, donc, fait illusion sur ses bricolages, en confinant l’efficacité de ses recettes à des champs arbitrairement construits pour l’expérimentation et la réussite de celles-ci. C’est en ce sens qu’elle mérite son nom de sciences appliquées ou sciences de la matière ; même si on ignore ce que signifie fondamentalement ce terme de « matière ». Dès lors, le succès monumental des recettes technologiques (Smartphones, ordinateurs, armes, satelliques, voitures, avions, voire les fameux GAFA etc.), qui sont les mêmes, d’ailleurs, en termes de procédés que dans les sciences du vivant, les laboratoires pharmaceutiques etc., ont fini par élever cette espèce de techno-science au rang d’une divinité. Cette opération qui confine à une figure de prestidigitation, dans un autre domaine, nous aveugle entièrement. Car elle nous a imposé une vision du monde simpliste qui incline à croire que tout est connaissable et même maîtrisable. Descartes, le fondateur de la modernité ne disait pas autre chose dans son fameux Discours de la méthode. La nécessaire et utile connaissance de l’ensemble des phénomène nous rendra « comme maître et possesseur de la nature ». Ce faisant, Descartes n’a retenu qu’un aspect des phénomènes naturels : la manipulation simple et aisée de l’énergie disponible dans les éléments de la matière – mais on ignore toujours ce que ce mot signifie à vrai dire -. En revanche, il a totalement occulté la dimension complexe des phénomènes : celle-ci échappe encore à la mesure de nos connaissances apparentes où triomphe le simple

   D’ailleurs, il ne peut en être autrement puisqu’Einstein lui-même, le génie scientifique de notre temps, a imposé, lui aussi, de concevoir le réel sous l’angle réductionniste de la mathématique. Ainsi, il nous a conduits à croire que le Réel construit, c’est la nature même des phénomènes. Tel est le sens de sa belle et séduisante formule : « Ce qui est incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible »[1]. Dans un texte inédit[2], nous avons contesté cette formule de la manière suivante : « En fait, il devrait dire : « Ce qui est incompréhensible, c’est que le monde ne soit pas compréhensible » par rapport aux pouvoirs de notre raison. Le monde dont il parle peut s’entendre au sens de la nature intime, réelle, ultime même des phénomènes dans le Cosmos-Combinaison ; sans parler des mystères insondables du cerveau humain. D’autant plus qu’Einstein le reconnaît lui-même : nous ne connaissons essentiellement que les constructions mathématiques, conceptuelles de notre raison. Nous pouvons les reconstruire, les déconstruire à notre guise… »

 Dans un autre champ des réalités humaines, la sidération provoquée par le Covid-19 a également réduit à l’impuissance nos élites politiques, bavardes et bagarreuses en temps normal, en l’occurrence, la santé publique. Voici un corps d’élites, qui est supposé instruit, éclairé, et qui est chargé de conduire la destinée des peuples, de diriger les mondes humains avec autant de sagesse, de clairvoyance et de justice qu’il est possible. Que fait ce corps d’élites en réalité ? Il est incapable de la moindre prévoyance possible quant à l’avenir des peuples. Il en ignore même le sens. Ceux d’entre ces hommes politiques qui font preuve de plus de clairvoyance et, qui à ce titre, voudraient agir dans l’intérêt futur des peuples en matière économique par exemple, les plus habiles, c’est-à-dire les plus fourbes, qui sont accrochés à se nourrir essentiellement de l’argent public en dormant, s’emploient à les écarter. Or, en tant qu’élus politiques, ils vivent tous de l’argent public. Ce fut le cas, en France, d’Arnaud Montebourg pendant la présidence de François Hollande : il a défendu le concept du produire en France, et il s’était opposé aux fermetures d’usines dans le Nord en prônant leur nationalisation. Il avait raison sur tous les points des principes politiques qu’il défendait dans l’intérêt de la France. Nonobstant ce, il a été éjecté du ministère de l’Economie. Donc, quels que soient les pays considérés (Etats dits puissants ou Etats pauvres), les élites politiques agissent toutes de la même manière. Elles sont toutes aveugles parce qu’elles sont seulement préoccupées de gérer le quotidien, l’immédiat pour tâcher de trouver des solutions provisoires à des situations de crise humaine présente.

  Donc, elles ignorent absolument ce qu’est le devenir, le futur des peuples qu’elles sont censées conduire, hormis leurs perpétuelles recherches de stratégies pour conquérir ou pour conserver le pouvoir politique contre la volonté, parfois, des mêmes peuples. Comme tout le monde, dans l’état présent de la pandémie du Covid-19, elles sont désemparées, elles sont aux abois. Elles sont privées de raison superbe dans la gestion des affaires en ces temps de crise sanitaire. Par leur crainte et leur terreur au même titre que les peuples, elles se révèlent humaines, « trop humaines » et, donc, mortelles. Elles semblent compatir au sort d’autrui. En réalité, elles tentent de fuir la mort imminente et invisible comme les autres êtres humains. Face au Covid-19, elles perdent leur « précieuse » supériorité et leur superbe. Leur miroir déformant des réalités humaines se brise ; ce qui les conduit à se rapprocher des gens, des vrais gens concrets et non pas imaginaires comme elles les perçoivent au niveau de leur conscience.

 Mais, prenons garde de ne pas nous laisser tromper par leur conduite, en apparence, empathique. Car ces élites vaines de la chose politique ne sont rien d’autre, en réalité, que des jouets, des valets des détenteurs de l’industrie financière internationale. Comme eux, ils n’ont pas de cœur – plutôt, leur cœur est plein de sécheresse – par rapport aux problèmes réels de leurs peuples. Car rien n’indique qu’aussitôt passée l’émotion du moment, par exemple, la sidération provoquée par le Covid-19, elles ne préparent déjà des moyens aussi pernicieux que d’ordinaire, les uns autant que les autres pour contraindre la partie modeste, voire pauvre de leurs peuples à payer les frais du désastre présent provoqué par la pandémie. Même pour l’équilibre ultérieur des comptes publics, rien ne prouve que ces élites politiques, qui ont pour fonction de vivre de l’argent public, ne trouveraient pas toutes les astuces possibles pour vider les poches de cette même frange de la population afin remplir les Caisses de l’Etat. Elles le feraient sous de fallacieux prétextes qu’elles présenteraient comme si elles agissaient dans l’intérêt de tous, pour le bien de l’Etat. Ce faisant, elles n’auront pas le courage ni l’audace ni la volonté de demander autant d’argent aux citoyens les plus aisés, les plus riches de leur pays. Tout se passe comme si elles avaient été élues par cette minorité pour exécuter uniquement ses ordres dans son intérêt exclusif ; c’est-à-dire dans l’oubli total de ceux qui les ont fait « rois », l’espace d’une mandature.

  Or, tel n’est pas le sens du fonctionnement de la République, du moins celle de la France, qui s’inspire largement des principes politiques du Contrat social de Rousseau pour se fonder. En effet, avec ce philosophe du dix-huitième siècle, ceux-ci deviennent plus clairs. Autrefois, on appelait Cité, la personne publique représentée par l’union de tous les individus qui la composent. Ce terme semble plus vague suivant sa rigueur de la pensée politique. Dans son livre, Du contrat social (Livre I, chapitre VI- Du Pacte social), la Cité devient la République, qui est aussi et en même temps le « corps politique ». Rousseau précise davantage la conceptualisation de ces termes politiques de la manière suivante : le « corps politique » « est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. A l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s’appellent en particulier Citoyens, comme participants à l’autorité souveraine, et Sujets, comme soumis aux lois de l’Etat ». En ce sens, les élites politiques qui sont aussi membres égaux du « corps politique » ne sont rien d’autre que des ministres du souverain. Le mot « ministre » est défini par le Littré de la manière suivante : « celui qui est chargé d’une fonction, d’un office ; celui dont on se sert pour l’exécution de quelque chose ». D’un point de vue étymologique, le terme ministre dérive d’un mot latin « minus » soit « inférieur », qui est formé à l’imitation du « magister », c’est-à-dire « maître ». Donc, ministre signifie « serviteur » avec, parfois, le sens de premier serviteur du peuple, c’est-à-dire de tous les citoyens français et dans le sens des principes de la philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau. D’autant plus que la Constitution française de l’an I ou de 1793, élaborée par la Convention instituant un régime républicain, très démocratique et décentralisé, est essentiellement fondée par ses rédacteurs sur les principes politiques du Contrat social de Rousseau. Il a été adopté par un référendum populaire en juillet 1793.  

 Contrairement à ces principaux politiques instituant l’égalité des citoyens, les élites politiques, quelles qu’elles soient, savent uniquement mentir aux peuples électeurs, flatter leurs bas instincts. Mais elles ne savent pas les récompenser. Selon elles, les peuples sont assez vils pour accorder quelque crédit à leurs propagandes électorales oubliant que ce sont elles qui sont les serviteurs du peuple souverain. Rappelons-nous cette vérité politique d’hier énoncée par Charles Pasqua : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Une telle thèse est toujours d’actualité en politique. Aussi, ces élites politiques ne se gênent pas pour se complaire dans les vains babillages démagogiques pour arriver à leur fin : l’acquisition ou la conservation du pouvoir. Donc, il ne faut pas attendre d’elles la moindre récompense pour leurs électeurs qu’elles ont, d’ailleurs, tendance souvent à mépriser.

   De ce point de vue, pour peu qu’on s’intéresse à l’histoire des Humains, l’état du monde d’hier est exactement le même que celui d’aujourd’hui par-delà les apparences des mutations matérielles ; par-delà même le reflet flatteur des innovations technologiques.

PIERRE BAMONY

DOCTEUR EN PHILOSOPHIE ET ANTHROPOLOGIE


[1] In Comment je vois le monde (Flammarion, coll. “Champ”, Paris 1988)

[2] In Pierre Bamony : Essai sur la Réunification de la Philosophie et de la Science

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