Daech : un facteur incitant Khartoum à adhérer au G5 Sahel (Analyse)

Daech : un facteur incitant Khartoum à adhérer au G5 Sahel (Analyse)

  • Le Soudan est un prolongement naturel des Etats du Sahel, dans le cadre du Sahara, et l’infiltration d’éléments du groupe terroriste de Daech au Darfour n’est pas exclue, bien que les informations à ce sujet demeurent contradictoires.
    Mona Saanouni | 24.02.2021
    AA / Istanbul

Bien qu’éloigné des zones chaudes du Sahara, le Soudan insiste pour déposer une demande d’adhésion au Groupe des cinq Etats du Sahel, quitte à ce que cela soit juste à titre de membre observateur.

Le Soudan est un prolongement naturel des Etats du Sahel, dans le cadre du Sahara, et l’infiltration d’éléments du groupe terroriste de Daech au Darfour n’est pas exclue, bien que les informations à ce sujet demeurent contradictoires.

Lors de la tenue du sommet du Groupe du Sahel africain, dans la capitale tchadienne N’djamena, les 15 et 16 février courant, le Soudan a réitéré sa demande d’adhérer, en qualité d’observateur, au groupe en question, qui compte la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad.

Ibrahim Jaber, membre du Conseil soudanais de Souveraineté, qui a assisté au Sommet, explique la détermination de Khartoum à adhérer au Groupe par « la volonté de renforcer la coopération entre les pays de la région, pour faire face aux défis communs, en particulier, ceux du terrorisme, de la pauvreté, du crime organisé et de l’immigration clandestine ».

Jaber a souligné la « similitude » des défis auxquels font face le Soudan et les pays du Sahel.

Le Soudan fait partie intégrante du Sahara, ce vaste territoire de plus de 9 millions de kilomètres carrés, infesté par les réseaux de contrebande des marchandises, des stupéfiants et des armes, compte tenu de sa superficie, de son climat aride, de sa densité démographique peu élevée, de son manque de développement, de sa marginalisation, de son relief et de la faiblesse de la couverture sécuritaire.

Des groupes terroristes, à l’instar de Daech et d’al-Qaida, sont parvenus à s’installer au Sahara, après avoir été expulsés des zones littorales et montagneuse d’Algérie, de Libye, puis de Mauritanie, en se déployant dans le nord du Mali.

Néanmoins, l’intervention militaire française au Mali, en 2013, a, au lieu d’éradiquer les groupes extrémistes, contribué à leur éparpillement dans les pays de la région, en particulier au Niger et au Burkina Faso.

Les reliefs accidentés et les obstacles naturels n’ont pas empêché Daech de s’étendre et de s’installer dans les Etats de l’ouest de l’Afrique, profitant en cela de l’annonce faite par des groupes extrémistes locaux, tels que Boko Haram, de leur adhésion à l’organisation terroriste.

Ces groupes sont désormais déployés au Nigeria, au Cameroun, au Bénin, atteignant même le centre du continent en RD Congo, et jusqu’au sud de l’Afrique, au Mozambique.

Ce déploiement rapide et de grande envergure de Daech en Afrique, en particulier, dans les pays du Sahel, motive et justifie l’inquiétude du Soudan de voir le groupe terroriste s’infiltrer au Darfour (ouest), un Etat chroniquement instable et frontalier avec la Libye au nord et avec le Tchad à l’ouest. Il s’agit de deux pays qui s’étaient engagés dans de violents combats contre les organisations terroristes, telles que Daech et Boko Haram.

  • Appréhension de l’extension de Daech jusqu’au Darfour

L’effondrement de l’émirat de Daech en Libye, au mois de décembre 2016, et la fuite de centaines de ces éléments vers le centre du désert libyen, a suscité l’inquiétude des pays voisins, en particulier le Souda, quant à la possibilité que ces hommes armés atteignent aient son territoire et constituer ainsi des foyers menaçant sa stabilité.

L’évocation de l’arrivée d’éléments de Daech au Darfour a commencé, depuis le mois de mars 2016, soit avant même la chute de l’émirat du groupe terroriste dans la ville libyenne de Syrte.

Des informations contradictoires avaient circulé à l’époque, évoquant l’arrivée de centaines d’éléments de Daech à l’Etat du Darfour du Nord.

Le Mouvement Populaire de Libération du Soudan (MPLS) a dit que ses unités sécuritaires ont observé l’entrée de 700 éléments armées de Daech dans la ville de Malite, dans l’Etat du Nord Darfour, et ce en 3 contingents successifs, avant qu’ils ne s’installent dans la région de Debs, au sein du même Etat. Ce déploiement s’ajoute à un autre d’éléments connus pour leur tendance extrémiste et issus de plusieurs groupes, bien que 90% des habitants de la région se réclament du soufisme (La Tidjaniya).

Daech exploite généralement les régions désertiques et sécuritairement instables pour s’infiltrer parmi leurs habitants, et s’emploie à endoctriner et à recruter des éléments locaux afin de renforcer sa présence dans lesdites régions.

Darfour constitue un espace approprié pour la prolifération des groupes extrémistes, compte tenu du taux de pauvreté, des litiges tribaux, de l’instabilité sécuritaire, autant d’éléments et de facteurs qui suscitent l’inquiétude des autorités soudanaises en les incitant à prendre des dispositions pour contrecarrer toute éventuelle menace.

Cependant, et depuis l’année 2016, aucune opération terroriste n’a été enregistrée dans Darfour du Nord, où évolue généralement plusieurs groupes armés, tels que le Mouvement « Justice et Égalité » et le MPLS avec ses deux branches.

De plus, l’arrivée de centaines d’éléments de Boko Haram dans l’ouest du Tchad, en 2020, constitue une autre menace pour le Soudan, qui vise à renforcer la coopération sécuritaire et militaire avec Tripoli et N’Djamena, à travers le déploiement de forces mixtes dans le triangle frontalier entre les 3 pays.

En effet, les groupes extrémistes s’emploient à établir un émirat dans le Sahel africain, qui s’étendrait de la Mauritanie jusqu’au Darfour, exploitant en cela la précarité des armées de la région, éreintées par des guerres d’usure menées contre des groupes rebelles et autres factions séparatistes.

  • A la recherche de nouvelles alliances

Khartoum s’emploie à tirer profit des expériences vécues par les Etats du Sahel dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et à coordonner les efforts sécuritaires et de renseignement avec ces pays.

Néanmoins, l’immigration clandestine, le crime organisé et les activités de contrebande en tout genre représentent d’autres facteurs qui hantent Khartoum compte tenu, notamment, de la prolifération des armes au Darfour (2 millions d’arme qui circulent dans cette région selon des estimations non-officielles) et au vu des frontières ouvertes au niveau de cet Etat du nord-ouest du pays.

Le Soudan pourrait bénéficier à l’avenir d’un financement international et d’un appui apporté à ses capacités sécuritaires et de développement, dans les zones fragilisées au Darfour, ou celles subissant une menace terroriste éventuelle, à l’instar des autres pays du Sahel.

En adhérant au Groupe du Sahel, le Soudan pourrait passer du stade d’un « pays qui parrainait le terrorisme », à l’aune américaine, à celui de « pays qui combat le terrorisme », en particulier après que son nom ait été retiré de la liste des Etats qui parrainent le terrorisme, en décembre dernier.

Le début du retrait des forces onusiennes (UNAMID) du Darfour constitue, à son tour, un autre défi sécuritaire pour le Soudan, dont la capacité à remplir cette vacance sécuritaire provoquée par ce retrait, sera mise à l’épreuve, ce qui implique pour Khartoum de chercher de nouvelles alliances, dans le but de renforcer les capacités de ses unités, pour faire face à toute instabilité dans cet Etat.

De plus, la situation sécuritaire aux frontières avec l’Ethiopie pousse le Soudan à nouer de nouvelles alliances en Afrique de l’ouest, en particulier avec la France, qui conduit le G5 Sahel en plus de faire partie des cinq pays, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.

Ainsi, les efforts déployés par le Soudan pour adhérer à l’Alliance des Etats du Sahel est fondée sur des appréhensions sécuritaires et des défis régionaux, deux éléments qui incitent ce pays a chercher à nouer des alliances dans son voisinage proche.

*Traduit de l’arabe par Hatem Kattou

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