Éducation : Énorme pavé dans la mare


« Seuls 4% des enseignants seraient en mesure de pratiquer », aurait déclaré, il y a quelques jours à Néma, la capitale du Hodh El Chargui, le ministre de l’Éducation, de la formation technique et de la réforme, jetant ainsi un énorme pavé dans la mare.


Le désaveu cinglant du chef de ce département crucial qu’on n’arrête pas de réformer a suscité une levée de boucliers des intéressés qui ont, en réponse, sonné la mobilisation. Et de tenir sit-in devant la présidence de la République pour manifester leur mécontentement. « Les propos du ministre sont graves et stigmatisants », nous a déclaré une enseignante rencontrée sur place.
Même si l’on peut concéder à cette dame qu’elle peut, avec ses collègues, se sentir visée, force est de reconnaître que le niveau de l’éducation n’a cessé de baisser depuis des années. Il y adonc une part de vérité dans les propos du ministre qui n’a fait, soulignent nos sources, que rappeler les conclusions d’une étude réalisée par un bureau d’études international américain portant sur plusieurs pays. Ce n’est pas un scoop.
Les parents d’élèves le savent et la prolifération des écoles privées et, depuis quelques années, des écoles d’excellence sont là pour le prouver. Même nos enseignants envoient leur progéniture dans les écoles privées ; et les nantis, dans le système français.
À l’instar de nos ministres, généraux et hauts responsables qui se sont attribué l’exclusivité de l’école Polytechnique et autres établissements d’élite. L’enseignement public se dégrade de jour en jour et aucune solution n’est en vue pour le redresser. C’est bel et bien en connaissance de cause que le ministre de l’Éducation tient le propos qu’on lui prête.
Selon nos sources, le ministre se fonde sur une évaluation objective des enseignants et entend redresser la barre. En somme, un cri du cœur. Mais que peut faire notre ministre pour trouver – et faire appliquer… – le remède de cheval dont a besoin son secteur ?
Se basant sur les conclusions de ladite évaluation, le ministère pourrait, dans le cadre de la réforme engagée, commencer par systématiser les tests de niveau afin d’apporter les correctifs nécessaires, via des séminaires de formation, à l’image peut-être du recyclage linguistique organisé, il y a quelques années, au profit de ce qu’on appelait les « moualim potentiellement bilingues ».
L’objectif était de faire d’eux de véritables bilingues, parce que certaines matières scientifiques et les mathématiques devaient être enseignées en Français. Au final, un bilinguisme approximatif aux conséquences désastreuses, nombre d’enseignants déclarés bilingues traînant de sérieuses lacunes.
Des réformes opérées sur coups de tête, laissant l’impression qu’il y a, quelque part, des « responsables »décidés à saborder l’éducation. Tout est fait dans la précipitation, sitôt que parvient le moindre financement, on organise à tour de bras des séminaires et des ateliers.
Tant que les responsables du département ne se départiront pas de cette attitude et que l’apparente volonté politique ne se traduira pas en actes réellement architecturés, construits, cohérents, on n’accumulera perpétuellement que des saupoudrages.
Réaction incompréhensible des enseignants
Bon nombre d’enseignants, notamment ceux regroupés devant les grilles de la présidence de la République, refuseraient toute remise en cause de leur situation actuelle ; autrement dit, se déclarent hostiles à tout test de niveau visant à évaluer puis renforcer leurs capacités.
Mais de quoi ont-ils peur ? Être virés, si leur niveau n’est pas jugé satisfaisant ? On n’en est pas encore là. Certes la réforme pourrait faire des vagues, prévient une source proche du ministère, et les enseignants peuvent s’inquiéter de leurs conséquences. Coup de pied dans la fourmilière en vue ?
En Janvier dernier, lors de l’inauguration des travaux d’un atelier de partage des informations sur l’évaluation des enseignants du Fondamental, le ministre Mohamed Melaïnine ould Eyih, avait, rappelons-le, souligné que « l’évaluation est indispensable aux enseignants en vue d’acquérir, par la formation continue, de nouvelles compétences et d’améliorer ainsi leur expertise. »
Ceux-ci devraient donc plutôt se réjouir d’une telle opportunité et accepter de se remettre en cause, afin de corriger leurs lacunes, progresser et tirer ainsi vers le haut le niveau de notre système éducatif. Nul ne contestera que celui-ci estau plus bas, les résultats aux examens nationaux, en particulier le baccalauréat, sont de plus en plus médiocres, pour ne pas dire catastrophiques.
Tel est l’implacable baromètre pour juger les enseignants. Si ces résultats, au Fondamental et au BEPC, semblent « bons », c’est principalement grâce à la triche devenue courante. Bref et en attendant la concrétisation de l’engagement du président de la République à mettre en place l’école républicaine, tous les acteurs doivent accepter de se remettre en cause.
Un mal profond
Le secteur de l’éducation est malade, ce n’est un secret pour personne en Mauritanie. Acteurs du secteur, parents d’élèves, problème linguistique, idéologie… Le diagnostic a été maintes fois dressé et les maux dont ce secteur stratégique souffre sont légion. Le redresser semble aujourd’hui relever de la quadrature du cercle.
Toute une« Année de l’Éducation »et des journées de réflexion en veux-tu en voilà n’ont pas suffi à trouver le remède-miracle. Des recommandations jugées pertinentes ont été rangées dans les tiroirs ou jetées aux toilettes. De puissantes forces centrifuges tiennent le département. S’y attaquer relève d’un immense défi, tant celui-là paraît miné, rétif à tout changement significatif.
Les nombreux ministres qui s’y sont succédé n’ont pas réussi à redresser la barre, se heurtant justement à ces forces rétrogrades et à l’absence d’une réelle volonté politique. Seule madame Nebgouha mint Mohamed Vall, nommée sous Sidi ould Cheikh Abdalahi, osa donner un premier coup de pied dans la fourmilière :on se rappelle du tollé que son action suscita.
Malgré d’énormes pressions croisées de toutes parts, la dame de fer résista, prenant des décisions audacieuses. Son passage audit département demeure mémorable. Son nom fut même avancé pour reprendre le poste dans le premier gouvernement de Ghazwani mais elle aurait, prétend la rumeur, décliné l’offre. Ne savait-elle pas à quoi s’attendre ?
Le ministère de l’éducation est un département sensible, dit-on, il implique des milliers de personnes… et leurs problèmes. Parmi les maux dont il souffre, citons en premier chef la cascade de « réformes » sans réflexion approfondie et partagée et, surtout mal ou prou évaluées.
Certaines avancées sur soubassement idéologique et politique, donc contestées et contestables. Selon Oumar Matala, ancien ministre de l’Enseignement secondaire et professeur de son état, ce qui a fait couler nos réformes passées, ce sont « l’improvisation et la politisation […] » Et de préciser :« Le subjectivisme est l’ennemi N°1 de l’enseignement ».
Secondement, l’instabilité à la tête du département. Les ministres s’y sont succédés à la pelle, certains n’ont même pas eu le temps de s’installer, fusions et séparations des départements du Fondamental et du Secondaire déstructurant les organigrammes, comme si l’on ne savait pas où aller.
Troisièmement, le déficit chronique en personnel, entraînant de mauvais recrutements, contractuels puis prestataires de services. Soucieux de combler ledit déficit et pressé par les parents d’élèves, le ministère recrute quasiment tout ce qui lui tombe sous le bras.
Des gens parfois ramassés dans la rue, sans concours ni test sérieux, sont envoyés dans les classes du Fondamental ou chargés de cours dans les établissements secondaires. Et la gestion de la dernière vague de ces contractuels que le ministère n’est pas pressé d’intégrer pose un sérieux problème. On se rappelle de leur sit-in devant le ministère pour réclamer leur intégration.
Certains ont même boycotté les classes. Le déficit des enseignants, au Fondamental comme au Secondaire paraît bel et bien suscité et entretenu par le ministère qui a accepté la multiplication anarchique des établissements.
Les politiques et galonnés portent une grosse part de responsabilité, chacun veut une école pour son propre hameau, les regroupements susceptibles de régler le problème du déficit enseignant sont relégués aux oubliettes. Le personnel est très mal géré, à commencer par le niveau central.
Les différentes directions sont bondées d’oisifs, juste refuges où caser les protégés des ministres, généraux, parents (tribus), etc. Ce système est reproduit au sein des directions régionales où les DREN sont soumis à de très fortes pressions pour placer un tel ou décharger tel autre.
Certains sont détachés de leur fonction alors que le besoin est pressant sur le terrain. Bref, c’est la mauvaise gestion du personnel qui produit le déficit chronique en enseignants.
Et l’on ne peut que constater, dans la réalité quotidienne, la faiblesse de leur niveau, leur complaisance dans les contrôles continus, la triche érigée en pratique courante. On ne redouble presque plus dans nos écoles.
Quatrièmement, les mauvaises conditions de traitements et de travail des enseignants. S’ils étaient naguère des modèles, ils traînent aujourd’hui une déplorable image dans notre société. Peu ou prou respectés et sous-payés, disent-ils, en dépit des primes d’éloignement et autres motivations, les voilà vendeurs de cartes de recharge, taximen, courtiers, etc.
Cinquièmement, la redéfinition périodique des programmes des différentes disciplines et les difficultés des enseignants à intégrer certaines méthodes pédagogiques comme l’Approche Par les Compétences (APC).
Ces changements de méthodes questionnent, avec l’impression d’un simple « copier/coller » sans véritable adaptation. Et cette réécriture perpétuelle des programmes entraîne un déficit en manuels scolaires toujours en retard d’une reformulation.
Cerise (amère)sur le gâteau des problèmes, l’intégration des autres langues nationales que les composantes pulaar, soninké et wolof réclament depuis des décennies. Elles se battent pour l’officialisation puis l’introduction de leurs idiomes dans le système éducatif. Leur absence, estiment-elles, est une grosse épine dans l’édification de l’unité nationale.
En attendant l’école républicaine
C’était l’engagement solennel du président de la République Mohamed ould Ghazwani. Il traduit, semble-t-il, le souci de celui-ci de répondre à une préoccupation majeure du pays. L’école qui devrait cimenter l’unité nationale a connu des tensions, comme dit à l’instant, autour de la question des langues.
L’arabe considéré langue nationale et les autres « dialectes » ou « langues vernaculaires », ce que leurs locuteurs contestent et dénoncent. L’Institut des langues nationales fondé sous Haïdalla peine à s’imposer car il n’y a pas de volonté politique à l’émanciper. Les forces centrifuges établies au sommet de l’État s’y opposent fortement.
L’école républicaine dont parle le président Ghazwani, mais dont on ignore pour le moment le contenu, saura-t-elle dépasser ces clivages et redorer le blason terni de notre école ? Depuis des décennies, les réformes opérées par le ministère ont surtout contribué à diviser les Mauritaniens.
Deux systèmes parallèles d’enseignement ont vu le jour et érigé des barrières entre nos enfants, alors que le rôle de l’école est de cimenter leur unité. Des barrières accentuées par les fameux évènements de 1989.
Depuis, ce ne sont que suspicions et méfiances, même à l’école. Celle républicaine apparemment si chère au Président contribuera-t-elle un tant soit peu à faire tomber ces barrières, à renforcer et consolider l’unité nationale, un autre thème toujours rabâché mais toujours aussi attendue que l’Arlésienne ? Espérons que celle-là ne soit pas confinée à l’état de slogan, comme la lutte contre la corruption d’Ould Abdel Aziz !
Selon nos informations elle passera par une réorganisation systématisée de l’enseignement au Fondamental : construction de deux mille sept cents classes par le ministère de l’Urbanisme et de l’habitat, mise en place de cantines scolaires dans le cadre du Programme national d’alimentation scolaire lancé, il y a quelques jours, dans la localité de Bousteïla au Hodh El Charghi.
D’un coût de quatorze milliards MRO et mis en œuvre avec divers partenaires comme Taazour, CSA, PAM ou l’ONG Counterpart, il touchera huit cent soixante-six écoles sur toute l’étendue du territoire, excepté Nouakchott, pour 147649 élèves.
Dalay Lam
Le Calame

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