Enquête sur le Sahara occidental Partie 3/3 : La donnée économique. Un désert plein de ressources

Les ressources halieutiques et leur partage se trouve au cœur du conflit du Sahara occidental. Les investissements marocains se multiplient dans la région, aussi vite que l’implantation de consulats.

Gisements de phosphate et de minerais rares non encore exploités, énergie (éolien et hydrolien), voies de communication (route transsaharienne), le Sahara occidental suscite les convoitises. Sans compter ses très riches ressources halieutiques à puiser au large d’un littoral de 1 100 kilomètres, principale activité économique aujourd’hui et point d’achoppement entre les belligérants.

« Les perspectives d’investissements étrangers vont se développer sur ce territoire », assure un diplomate, selon qui les Américains seraient prêts à engager 3 mrds

En décembre 2016, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) déclarait que le Maroc et le Sahara occidental étaient deux territoires distincts et séparés. En janvier 2018, devant se prononcer sur la validité de l’accord de pêche UE-Maroc signé en 2006 (à la demande de le High Court of Justice britannique, elle-même saisie par l’ONG Western Sahara Campaign), l’avocat général de la CJUE, Melchior Wathelet, suggérait de l’invalider. Il estimait que « l’exploitation halieutique par l’Union des eaux adjacentes au Sahara occidental, instaurée et mise en œuvre par les actes contestés, ne respecte pas le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. » Et que « l’Union a manqué à son obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la violation, par le Maroc, du droit de ce peuple à l’autodétermination ainsi que de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. »

Un mois plus tard, la CJUE le désavouait en arguant  » que le territoire du Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du royaume du Maroc, les eaux adjacentes du territoire du Sahara occidental ne relèvent pas de la zone de pêche marocaine visée par l’accord de pêche ». Et pourtant… En décembre 2016, la même CJUE avait conclu que les accords d’association et de libéralisation n’étaient pas applicables au Sahara occidental. Mais, elle s’exprimait sur l’accord agricole et n’évoquait pas la pêche.

Le Sahara occidental territoire séparé et distinct


Malgré cette jurisprudence floue, début 2019, après deux ans de négociations sans consultation des Sahraouis, deux accords d’extension au Sahara occidental étaient conclus entre le Maroc et l’Union européenne.

Le premier porte sur l’accord d’association – qui lie Rabat à Bruxelles depuis 2008 – et le second concerne la pêche. Ce dernier accorde le droit d’aller pêcher dans les eaux marocaines pour quatre ans et une contribution annuelle de 40,1 M€ (contre 30 M€ lors du précédent protocole), à 128 navires de dix pays européens. Avec comme principaux bénéficiaires l’Espagne, le Portugal, la France, les Pays-Bas, la Lituanie et la Lettonie.

« L’UE doit d’être en conformité avec les décisions de sa Cour de justice qui a clairement réaffirmé le statut du territoire du Sahara occidental, séparé et distinct du Royaume du Maroc et que tout commerce sur ce territoire avec l’UE devait avoir le consentement du peuple du Sahara Occidental. Chose que n’a jamais respecté l’UE », soulève Mohamed Ould Cherif, directeur du centre de réflexion franco-sahraoui Ahmed Baba Miské.

Intégration des eaux du Sahara occidental aux frontières maritimes marocaines


Mi-novembre 2020, dix-sept eurodéputés haussaient le ton : « 45 ans après que l’un de ses États membres a troqué le sort d’un peuple contre un banc de poissons, l’UE doit retrouver sa boussole morale et prendre ses responsabilités au regard du droit international, par la tenue du référendum d’autodétermination promis depuis si longtemps ». Selon eux, les institutions de l’UE ont « ignoré à plusieurs reprises les arrêts de la Cour de justice de l’UE en incluant les terres et les eaux sahraouies dans les accords commerciaux et de pêche avec le Maroc sans demander le consentement du représentant légitime du peuple sahraoui, le Front Polisario ». Ils demandent que l’UE ne soutienne plus « l’enracinement d’une occupation illégale, le financement du logement et de l’emploi des colons marocains ». Pour ces députés européens, « les biens produits dans les territoires occupés doivent cesser d’entrer sur le marché européen tels que certifiés par le Maroc et produits au Maroc, contre le consentement du peuple sahraoui ».

Gilles Devers accuse : « les pêcheries espagnoles ont fait pression, alors qu’il n’existait pas de cadre juridique avant 2019, pour obtenir une extension aux eaux du Sahara occidental. » L’avocat français du Front Polisario voit d’ailleurs la preuve que « s’il y a extension à un territoire, c’est qu’il n’y a pas de souveraineté ! »

Le Parlement marocain a voté, en janvier 2020, l’intégration des eaux du Sahara occidental à ses frontières maritimes. La frontière maritime s’arrêtait jusqu’alors à Tarfaya, la voici qui s’étend de Tanger à Lagouira (La Guera). Les députés en ont profité pour créer une zone économique exclusive (ZEE) de 200 miles marins au large des côtes marocaines. Deux décisions unilatérales et non conformes au droit international. D’autant plus que cette ZEE vient mordre sur les eaux des Canaries espagnoles, « où il existe un potentiel énorme », écrivait alors la formation nationaliste Coalition Canaria sur son site internet.

Poursuite des projets structurants par le Maroc


Dans la foulée de la présentation de la nouvelle carte du Maroc intégrant le Sahara occidental, l’ambassadeur américain a annoncé la création d’un consulat à Dakhla. Il sera à vocation essentiellement économique et destiné à encourager, accompagner, les investissements américains dans cette région, « au profit des habitants des provinces du Sud », précise le gouvernement marocain dans son communiqué. Il viendra renforcer le corps diplomatique déjà présent à Laâyoune et le grand port de pêche de Dakhla.

Après quelques ouvertures fin 2019, le nombre de Consulats a grimpé en flèche en 2020 avec les arrivées successives de représentations de la République centrafricaine, de la Côte d’Ivoire, de Djibouti, du Burundi, de Guinée, du Liberia, du Burkina Faso, de Guinée Bissau, de Guinée-Equatoriale, d’Haïti, d’Eswatini (ex-Swaziland), de Zambie, des Émirats arabes unis, du Bahreïn.

À mi-décembre 2020, le Maroc recensait seize consulats au Sahara occidental alors que la Jordanie s’apprête à en ouvrir un à Laâyoune.

Le 7 novembre 2020, pour marquer le 45e anniversaire de la Marche verte, Mohammed VI a présenté son projet de développement économique pour le « grand Sud marocain ». Le roi du Maroc veut faire de « ses provinces du Sud » une base économique tournée vers l’Afrique de l’Ouest et entend lancer une centaine de chantiers dont le financement a été intégré à la loi de finance 2021. Mohammed VI remet en fait sur le devant de la scène sa stratégie baptisée « Nouveau modèle de développement des provinces du Sud » déjà dévoilée en 2015. Elle s’appuyait alors sur un budget de 7,4 mrds€ sur dix ans.

La dernière mouture met en avant une volonté de mieux exploiter le potentiel maritime. Au programme, un nouveau port, Dakhla Atlantique, destiné à devenir le hub du Sud du pays. Un pendant à Tanger Med sur la façade méditerranéenne. Implanté à Ntireft (40 km au Nord de Dakhka) et relié à Casablanca, Tanger et Las Palmas, il bénéficiera de 10 milliards de dirhams d’investissement (900 000 €) avec une zone industrielle de 270 hectares, dont une zone franche de 13 hectares.

Le roi va engager des projets structurants. Après avoir implanté un CHU, une faculté de médecine et une Cité des métiers et des compétences à Laâyoune, il veut faire construire une voie express entre Tiznit et Dakhia et développer le tourisme avec la création neuf stations balnéaires, dont celles de Dakhla et Chbika, toutes deux situées au Sahara occidental.

Vers l’absence d’extensions des accords de pêche au Sahara occidental


Politique et économique ne sont jamais loin… Cette anecdote le prouve. En septembre 2018, le Front Polisario portait plainte contre l’entreprise bretonne Chancerelle pour « crime de guerre ». La conserverie, plus connu sous sa marque Connétable (sardines), avait repris son homologue marocaine Belma en 2002 et investit dans une nouvelle usine à Laâyoune. Gilles Devers dénonce alors « la création d’emplois pour la population marocaine, pour une centaine de personnes » et qualifié cet acte de « transfert de population dans une zone occupée ». L’avocat français du Front Polisario accuse aussi Chancerelle de « tromperie sur l’origine du produit. C’est du poisson sahraoui et on s’organise pour en faire du poisson marocain. »

« La plainte se trouve toujours en stand by », précise-t-il aujourd’hui à econostrum.info. « Une date d’audience devrait être fixée au premier trimestre 2021. » Sur son bureau lyonnais se trouve un nouveau dossier présenté devant la Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples. Son client, la République arabe sahraouie démocratique (reconnue par ce tribunal, puisque membre de l’Union africaine – UA – dont elle émane) porte plainte devant cette institution contre cinq pays africains qui ont accepté l’adhésion du Maroc à l’UA (voir encadré ci-dessous). Un galop d’essai. « Nous arriverons en droit européen à l’annulation des accords de 2019 (voir partie 1 de cette enquête). L’absence d’extension des accords de pêche aux eaux du Sahara occidental viendra fragiliser les grandes entreprises, les banques, les pêcheurs notamment espagnols », souligne l’avocat lyonnais. Mieux, « après cette position de l’UE, nous sortirons notre liste d’une trentaine d’entreprises, dont Chanterelle, pour porter plainte », dévoile-t-il. Gilles Devers évalue à 1 mrd€ par an le préjudice subi (vol du droit de pêche, vol du droit d’association, vol du phosphate…) par le peuple sahraoui du fait de l’activité de ces entreprises sur son sol. Il compte présenter la facture à la Commission européenne. « Cet accord sert à spolier les ressources du Sahara occidental. L’argent recueilli par le Maroc va à la Maison royale et au financement de la colonisation ».

« La question de l’appartenance des eaux va devenir encore plus importante avec le Brexit et la volonté de la Grande-Bretagne de ne plus laisser pêcher les bateaux de l’Union européenne dans sa zone. » 95% de la pêche au Maroc s’effectue dans les eaux sahraouies, selon l’avocat. Cette « bataille décisive », comme il la qualifie, pourrait, « arrêter tout financement européen pour la colonisation. Les entreprises présentes ne pourront plus exporter sur le territoire européen. »

L’UA veut concilier RASD et Maroc réintégré parmi ses membres

Après avoir quitté l’Union africaine (UA) en 1984 pour protester contre l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le Maroc a changé de politique en la réintégrant le 31 janvier 2017. Il entend ainsi mieux peser sur les décisions de cette institution, et notamment sur celles concernant le Sahara occidental, jusqu’alors dictées par les Algériens et les Sahraouis selon les autorités marocaines.

« L’un des principes fondateur de l’Union Africaine est le respect des frontières héritées du colonialisme, et le droit des peuples à l’autodétermination, c’est ce que cette organisation a de nouveau rappelé, lors de la réunion du 6 décembre 2020. En outre l’Union Africaine a appelé les deux États membres (la RASD et le Maroc) à résoudre leur conflit via les négociations et mis de nouveau ce conflit sur l’agenda de son conseil de paix et de sécurité », explique Mohamed Ould Cherif.

Lire les autres articles de notre enquête sur la question du Sahara occidental

Partie 1 : L’équation politique. Le Sahara occidental, un conflit ensablé dans ses contradictions

Partie 2 : La contrepartie à la reconnaissance américaine : Renforcement des relations entre le Maroc et Israël

Frédéric Dubessy
Mardi 22 Décembre 2020

Frédéric Dubessy

Source :
https://www.econostrum.info

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