La Tunisie….Dix ans après le 14 janvier 2011

Par Mustapha Baâzaoui

Le syndrome 14 janvier Tunisien :

Le 14 janvier 2011 date qui aurait dû être une référence de la transition du monde arabe à l’exercice démocratique surtout que la révolution tunisienne s’est propagée à travers le monde arabe et a participé d’une manière directe à la révolte de plusieurs peuples contre les régimes des Etats Nations qui n’ont pas pu réaliser les aspirations des peuples arabes assoiffés de libertés et même des besoins les plus nécessaires à leurs survis.

Les Etats d’après-colonialisme ont échoué à faire venir le développement, l’essor économique et surtout les libertés, de s’exprimer, de s’organiser ou même de participer à la gestion de l’affaire publique.

Depuis, la situation des pays touchés par ce syndrome du 14 -Janvier Tunisien se dégrade de plus en plus et le plus important c’est l’absence de tout espoir de voir leur situation s’améliorer et de pouvoir se réveiller de leur cauchemar.        

On voit ce qui se passe en Libye, en Syrie et au Yémen pour s’assurer que les pays de la région arabe touchés par le syndrome du 14 -Janvier Tunisien n’ont plus le statut d’Etat mais plutôt de société revenue à l’ère des tribus non pas ethniques mais politiques. La Démocratie étant un régime qui régi un ensemble d’individus appelés « citoyens », la Démocratie- syndrome du 14 janvier Tunisien a fait éclater le tissu social des Etas et fait sortir un nouveau type d’individus qui s’apparentent désormais à « des hooligans » au service des partis qui font la guerre d’exclusion et d’extermination entre eux. En Lybie et en Syrie on a eu recours aux armes, en Tunisie on est encore au stade de la guerre froide où tous les moyens sont permis, les plus pourris particulièrement.        

Du rêve de la Démocratie à la Médiocratie :

Au lendemain de la chute du président Ben Ali, le peuple Tunisien et pour quelques jours a pu jouir de la Liberté en respectant et en conservant l’ordre publique. Les gens payaient leurs taxes, se déplaçaient tout au long du pays, voyageaient à l’étranger à travers les ports et les aéroports, payaient leurs factures d’électricité et de gaz dans le respect de la loi et sans le moindre désordre. Ils respectaient le feu rouge et se conformaient aux règles de la loi.

Mais cette situation ne va pas trop durer. Le paysage politique engendré par les élections d’octobre 2011 a chambardé les équilibres et fait apparaitre un nouveau maitre de la vie politique qui n’a jamais exercé l’affaire publique. Le parti Islamiste Ennahdha s’est vu propulsé aux commandes de l’Etat et devient le principal acteur politique à la tête d’un Etat qui ne sait quoi faire.

Même si « la Troika » composée d’Ennahdha, du parti de l’ancien Président Marzouki et le parti du président de la constituante Mustapha Ben Jaffar, Ennahdha est le parti qui a commis l’erreur fatale de mettre la main sur tous les rouages de l’Etat et s’est approprié l’essentiel des responsabilités en procédant à une purge presque totale de ceux qui n’étaient pas de son côté ou de ceux qui ne disposaient pas de sa bénédiction.  

D’ailleurs, derrière le partage des pouvoirs entre les CHEFS de la Troika, Moncef Marzouki (CPR) à la tête de la présidence de la République, Mustapha Ben Jaafar (ETTAKATTOL) à la tête du parlement, Hamadi Jebali (Secrétaire Général d’ENNAHDHA) à la tête du gouvernement, se « cachait » l’architecture du Régime politique actuel. Sans projet, ces partis politiques ont « façonné » une constitution sur-mesure à la base de ce partage primitif et ont fait ressortir un régime politique qui n’existe nulle part ailleurs et dont les Tunisiens payent aujourd’hui la facture trop salée.

Au lieu de s’orienter vers la construction d’une Démocratie qui respecte les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs, l’indépendance des instances de régulation, la primauté de la loi, ils ont réussi à instaurer une « Médiocratie » basée essentiellement sur le partage des bénéfices du pouvoir sur la base du nombre de sièges acquis au parlement. D’ailleurs, la principale commission qui gère les arrangements entre blocs parlementaires avant les plénières s’appelle « Commission du consensus » qui n’existe dans aucun texte légal sans laquelle le parlement ne peut faire passer aucun projet de loi avant d’être approuvé par cette commission. 

On se rappelle tous de la crise politique survenue après l’assassinat de deux figures politiques, Chokri Belaid le 06 février 2013 et celle de Mohamed Brahmi le 25 Juillet 2013 et comment la solution est venue du quartet (prix Nobel de la paix), structure n’ayant rien à voir avec les procédures de droit et en dehors du paysage des partis politiques représentés au parlement.

La même procédure a été encore une fois utilisée sous la Présidence du feu Béji Caïd Essebsi, qui en accord avec tous les partis politiques, surtout Ennahdha, a recouru à des arrangements hors procédures constitutionnelles pour nommer Youssef Chahed à la tête du Gouvernement et négocier un plan de sortie de la crise politique sous l’appellation de Carthage 1 et Carthage 2, voués finalement à l’échec.            

Preuve du déboire de cet « arrangement » entre partis politiques, appelé constitution, le dernier paragraphe de l’article 89 de cette constitution stipule :

« Dans un délai d’une semaine suivant la proclamation des résultats définitifs des élections, le Président de la République charge le candidat du parti politique ou de la coalition électorale ayant obtenu le plus grand nombre de sièges au sein de l’Assemblée des représentants du peuple de former le Gouvernement dans un délai d’un mois renouvelable une seule fois. En cas d’égalité du nombre de sièges, il est tenu compte pour la désignation, du nombre de voix obtenues ».

Depuis 2014, jusqu’à nos jours, un seul Gouvernement a été formé sur la base de cet article, en l’occurrence le gouvernement de Habib Essid. Certes les autres gouvernements ont obéi à des procédures constitutionnelles mais pas à l’évidence de ce paragraphe.

Les instances indépendantes, n’échappent pas aux règles de partage lors de leurs constitutions, raison pour laquelle et depuis 2014 à nos jours, seule l’instance supérieure indépendante des Elections ISIE existe parmi les cinq prévues par la constitution, et elle est incomplète à cause des tiraillements entre partis qui se disputent le partage. Il faut doublement souligner que le mérite revient à la première instance de Kamel Jendoubi qui a mis sur rail cette institution, celle qui a assuré les élections de 2011, autrement on n’aurait jamais réussi à le faire.

Et les exemples ne manquent pas. Toutefois on ne peut pas se passer d’évoquer l’échec du « Parlement du partage du butin » à faire élire les membres de la Cour constitutionnelle.  Est clairement dit à l’article 11 de la Loi organique N° 2015-50 du 3 décembre 2015, relative à la Cour constitutionnelle, que la désignation des membres qui revient au parlement passe forcément par le système de quotas :

Art. 11 – L’Assemblée des représentants du peuple désigne quatre membres conformément à ce qui suit : Chaque bloc parlementaire au sein de l’Assemblée des représentants du peuple, ou chaque groupe de députés non-appartenant aux blocs parlementaires composé d’un nombre de députés égal ou supérieur au minimum nécessaire pour former un bloc parlementaire, ont le droit de présenter quatre noms à la séance plénière à la condition que trois d’entre eux soient spécialistes en droit.        

Ce Droit de « partage » entre blocs parlementaires, de la plus haute autorité de la constitution, fait sauter la principale caractéristique « Indépendante » de cette institution et dévoile la culture de l’éclatement des institutions de l’Etat, Œuvre/Objectif principal de la constitution de 2014.

Enfin, nous pouvons que constater que ce régime politique à deux têtes est la parfaite garantie pour ne JAMAIS avoir un Etat Démocratique, supposé fort, capable de faire régner la loi et mettre en place des programmes de développement, ou de restructuration tant que la constitution de 2014 met le gouvernement au service des partis et non au service du peuple. Comment un président de Gouvernement, non élu, dispose de l’essentiel du pouvoir exécutif alors que le Président de la République élu au suffrage universel ne dispose d’aucun droit de regard ni aucune autorité légale sur le Gouvernement ?          

De la Médiocratie à L’Idéocratie : 2019 – 2020

Les résultats des élections de 2019 ont encore enfoncé le clou dans le sarcophage de ce régime politique du syndrome du 14 Janvier Tunisien qui agonise actuellement. La faiblesse de la représentativité des partis et l’élection de Rached Ghannouchi à la tête du parlement ont encore grippé le fonctionnement du Parlement.

Cette faible représentativité des partis politique au parlement est le résultat, d’abord d’une loi électorale catastrophique mise en place en 2011 pour uniquement garantir la participation de toutes les sensibilités politiques au lendemain de la chute de Ben Ali, mais c’est un provisoire qui dure puisque le seul souci d’Ennahdha est de se maintenir au pouvoir quel que soit le partenaire avec qui elle fait coalition. La célèbre déclaration du Feu Béji Caïd Essebsi durant la campagne électorale de 2014 qui qualifiait la possibilité de gouverner avec le parti de Rached Ghannouchi comme deux parallèles qui ne peuvent jamais se croiser devient la règle de la pratique politique en Tunisie et constitue une jurisprudence à laquelle Rached Ghannouchi n’arrête de pas de faire référence et d’exploiter. Sa dernière décision de nommer Mohamed Ghariani dernier secrétaire générale du RCD sous Ben Ali comme conseiller spécial du Président du parlement – Rached Ghannouchi- témoigne de cette hypocrisie politique qui ne tue plus personne.    

Pendant la campagne électorale de 2019, Ghannouchi en personne prêtait serment sur tous les plateaux de ne jamais mettre la main avec Qalb Tounes, parti de Nabil Karoui, qu’il accuse d’être corrompu. Après les élections, la première coalition faite par Ghannouchi élu Président du Parlement – grâce aux voix des députés de ce Bloc- a été faite avec le Bloc de Qalb Tounes.

Plus encore, Ennahdha a fait chuter le Gouvernement de Fakhfakh – Président de Gouvernement pour moins de trois mois, du 27 février au 15 avril 2020, à cause essentiellement de la pression d’Ennahdha de faire participer Qalb Tounes aux portefeuilles du Gouvernement, chose rejetée par Fakhfakh, et qui lui a valu sa destitution.   

Sous la présidence de Ghannouchi, les séances des Assemblées générales deviennent des arènes pour l’échange des disputes et des scènes de violences verbales – et même physiques- entre députés au su et au vu de tout le monde. Rached Ghannouchi qui ne peut terminer la présidence d’une plénière est contraint presque toujours à ouvrir l’assemblée et se retirer – s’enfuir- par la suite. Evidemment ces tiraillements violents entre blocs parlementaires se propagent et s’intensifient à travers les médias et surtout à travers les réseaux sociaux qui deviennent des armées au service de leurs partis empoisonnant davantage la vie politique et accentuent la fracture sociale.

Actuellement, la Tunisie vit une crise politique très aigue qui risque d’enfanter des troubles sociaux et accentuer le risque d’une explosion sociale dont on ignore les conséquences.

Dix ans après le syndrome du 14 janvier Tunisien ?

Le slogan longuement brandi par les adeptes d’Ennahdha « après la révolution, c’est mieux » devient un torchon qui fait rire tout le monde. Avec tous les indicateurs au rouge concernant le déficit budgétaire, l’endettement sauvage, le poids de la masse salariale sur le budget de l’Etat, la détérioration des infrastructures et des services publics, la dégradation des mœurs, la montée de la criminalité et de la consommation de la drogue surtout en milieu scolaire, l’absence presque totale de l’atmosphère propice à l’investissement et au travail, l’hémorragie de la fuite des jeunes, médecins et ingénieurs, l’effritement du socle social au profit du régionalisme, corporatisme et même à l’appartenance tribale, fait en sorte que la Tunisie est en train de perdre son identité, dont aucun n’a jamais douté et impensable dix ans plus tôt.

La Tunisie vit actuellement au rythme de l’effritement de son tissu social et politique et ne tardera pas à payer la facture de l’ignorance et l’arrogance de sa classe politique qui a généré un style de gouvernance amateuriste et profiteur. D’ailleurs, ce style n’a fait qu’élargir le cercle de la corruption qui s’étend à tous les domaines et aggrave la tâche de tous ceux qui veulent sauver le pays de ce marasme.

Actuellement, tout le monde demande un dialogue national, mais tout le monde amène son projet. La dernière proposition de dialogue national de l’UGTT présentée au Président de la République pour sortir de la crise se voit défigurée par les conditions posées par Le Président.

Certes, l’Histoire nous fait apprendre que les crises ne sont jamais éternelles mais il faut des « stratèges responsables » derrière pour trouver les solutions, chose qui fait défaut aujourd’hui surtout chez les partis politiques. Pire encore, après dix ans, une grande frange du peuple regrette la chute de Ben ALI et est au chevet du parti de Abir Moussi qui réclame son Héritage et celui de Bourguiba. Les derniers sondages montrent l’envolée du parti Libre Destourien et la chute vertigineuse du parti Ennahdha. Mais le plus dangereux c’est la perte de confiance du peuple envers tous les partis politiques et la perte d’espoir de voir les choses s’améliorer.

La baisse du nombre de Tunisiens qui ont voté en 2014 (2,946 millions de personnes) par rapport à ceux qui ont voté en 2011 (4,308 millions de personnes) montre à quel point les gens ont perdu confiance dans cette pseudo-démocratie.

En fait, la Démocratie du syndrome du 14 janvier Tunisien prouve qu’elle est juste un ascenseur pour propulser les partis politiques au sommet du pouvoir, mais cet ascenseur descend vide et ne fonctionne que lors d’une nouvelle échéance électorale. Et ce n’est par les élections qu’on peut construire un pays ou nourrir les gens ou créer de la richesse en l’absence d’un projet de développement pour faire face au chômage, à la pauvreté et surtout conserver la souveraineté vis-à-vis des bailleurs de fonds et vis-à-vis des nouveaux axes de la politique internationale.

La Tunisie souffre certes des retombées du Covid-19, mais elle souffre encore plus des séquelles du Covid-2011 et le syndrome du 14 Janvier.

A ce rythme, la transition n’est pas pour demain. 

Business News

Source: businessnews            

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