Opération Barkhane au Sahel : « Le sommet de N’Djamena doit être…

… celui du sursaut diplomatique », affirme Jean-Yves Le Drian

Dans un échange apaisé et consensuel, les sénateurs ont pu débattre du bilan et des perspectives de l’opération militaire « Barkhane » avec les ministres en charge des opérations. La chambre haute réclamait depuis plus d’un an la tenue d’un tel échange.
Cinquante-cinq. C’est le nombre de soldats français tués depuis le déclenchement en 2013 de l’opération militaire « Serval » pour lutter contre les terroristes au Mali et au Sahel. Lui a succédé « Barkhane », du nom d’une dune en forme de croissant, un an plus tard.

Depuis la situation s’ensable et la France n’a pas réussi à trouver une voie de sortie à cette opération qui mobilise au total 5100 soldats. Pour les sénateurs, il est plus que temps de s’interroger sur son avenir alors que les groupes djihadistes continuent de déstabiliser la région. Début janvier, deux militaires français ont encore été tués et d’autres, attaqués quelques jours plus tard. Un sommet doit réunir les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) les 15 et 16 février à N’Djamena, au Tchad, pour faire le point sur la situation sécuritaire dans la sous-région, avec à l’horizon un possible redimensionnement de Barkhane.

Ce sont donc Florence Parly, la ministre des Armées, mais aussi Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, qui ont été désignés par le gouvernement pour répondre aux questions de la chambre Haute, qui réclamait la tenue d’un tel débat depuis plus d’un an. Un dialogue salué par tout l’hémicycle ce mardi. Les sénateurs attendaient depuis longtemps des éclaircissements quant à la stratégie de la France dans la zone malienne, et estiment pour la plupart que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. En janvier 2020, à l’issue du G5 Sahel à Pau, le chef de l’Etat Emmanuel Macron avait annoncé un changement de stratégie en cours. Il s’agit de concentrer les actions sur « la zone « des trois frontières » entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. « Nous changeons de méthode […] en concentrant nos efforts sur cette zone », avait expliqué le président de la République. Loin d’un retrait, Emmanuel Macron avait par ailleurs envoyé 600 militaires supplémentaires.

« Le dénouement de cette crise ne sera certainement pas militaire »
La majorité sénatoriale est au premier rang des insatisfaits de la stratégie française. « Il est temps de faire un point ensemble sur cet engagement de longue haleine », a établi d’emblée le président de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Haute assemblée, Christian Cambon (LR). Pour le sénateur, « le dénouement de cette crise ne sera certainement pas militaire ». « La solution ne peut être que politique et ne pourra être que du ressort des Maliens eux-mêmes », a-t-il rappelé en évoquant la nécessité de « la réconciliation nationale » des forces maliennes et le « caractère crucial du développement économique ». La force Barkhane a permis d’empêcher la constitution « d’un sanctuaire djihadiste » aux portes de l’Europe, « mais quel est le plan du gouvernement pour qu’un jour, la France puisse retirer ses troupes sans craindre un nouveau séisme ? » a-t-il demandé. La droite n’entend pas pour autant, demander un retrait des troupes françaises engagées sur place. « Ni le retrait, ni le statu quo, ne sont des solutions et des stratégies. Cela nous mènerait à l’embourbement », a opposé Bruno Retailleau. Le président du groupe LR au Sénat a proposé d’autres pistes : « Il faudra s’adapter en permanence, se concentrer sur les forces spéciales, sécuriser avec un blindage approprié le transport de nos troupes. Et demander plus d’engagements de nos partenaires européens. »
Pour une fois, la position de la majorité sénatoriale est assez largement partagée. Ni les centristes, ni les socialistes ne sont en faveur d’un statu quo. Pas plus que le groupe RDSE. Ancien secrétaire d’Etat de François Hollande, qui avait déclenché l’intervention au Mali, Jean-Marc Todeschini (SER) a défendu la décision « nécessaire et digne » de l’ancien président socialiste. « La guerre que la France mène au Sahel ne pourra se solder que par une implication politique plus forte », constate lui aussi le centriste Olivier Cigolotti.

Seuls les communistes appellent aujourd’hui clairement à un départ des soldats de Barkhane. « Huit ans de guerre au Mali, ont-ils éteint le feu du terrorisme islamiste ? Poser ces questions, c’est malheureusement y répondre. La situation humanitaire, politique, du Mali empire », a fustigé Pierre Laurent (CRCE). Et d’interroger : « Les leçons des guerres menées au nom de l’anti-terrorisme ne sont pas tirées. Elles laissent à chaque fois des pays en proie au chaos. La désintégration de la Libye en est un exemple. Dans quel état laisserons-nous le Mali ? ». Réponse : « Nous devons tourner la page de Barkhane et préparer les conditions d’un départ programmé ». Les écologistes, par la voix de leur président, ont quant à eux exprimé leur doute. « Le bilan de l’engagement français nous laisse perplexes. Le coût de financier a été accru. Nous sommes passés de 520 millions en 2014 à un milliard en 2020 », a relevé Guillaume Gontard, pour qui N’Djamena doit être « un tournant ».

Du reste, tous ont rendu hommage aux soldats morts pour la France au Sahel, en particulier au fils de l’ancien sénateur Jean-Marie Bockel, décédé au Mali en 2019. Tous ont également plaidé pour un accroissement de l’aide au développement et une plus grande implication des partenaires européens sur place. « Nous avons dépensé 900 millions d’euros pour Barkhane en 2019, contre seulement 85 millions d’euros net en aide publique au développement pour le Mali », n’a pas manqué de souligner Christian Cambon.
Convertir les progrès militaires en succès politiques
A l’instar de la plupart des sénateurs, Jean-Yves Le Drian a affirmé que la résolution de cette crise « sera obligatoirement politique ». « La clé du succès c’est la mise en œuvre d’une approche globale et intégrée de la crise », a-t-il expliqué rappelant les quatre piliers prioritaires tels que définis par les pays du G5 Sahel : « La lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces armées sahéliennes, la reconquête par les Etats de leur propre territoire et le développement ». En ce qui concerne ces deux derniers piliers qui relèvent plus particulièrement de son ministère, Jean-Yves Le Drian s’est félicité « des résultats », citant « la scolarisation de plus de 200 000 jeunes nigériens, la réhabilitation de plus de 1800 classes au Mali […] se battre pour l’éducation c’est aussi se battre contre l’obscurantisme, c’est aussi une manière de se battre contre le terrorisme » a-t-il appuyé.

Concernant le prochain sommet du G5 Sahel à N’Djamena au Tchad, « il doit être celui du sursaut diplomatique, du sursaut politique et du sursaut du développement afin de consolider les résultats des derniers mois », a appelé de ses vœux Jean-Yves Le Drian. Le chef de la diplomatie a par ailleurs souligné la nécessité de « renforcer la coordination entre les pays du G5 Sahel et les pays riverains du Golfe de Guinée, afin d’enrayer l’extension de la menace terroriste vers leurs territoires ». Il a aussi suggéré une plus forte coopération avec l’Algérie et le Maroc, et la prise en compte de la question libyenne. Sur l’aspect politique, Jean-Yves Le Drian a ainsi souligné son attachement aux accords d’Alger de 2015 sur la paix au Mali. « Le problème, c’est que jamais il n’y a eu derrière de volonté politique de le faire aboutir », a-t-il regretté.

« Notre enjeu est de réussir à transformer les gains et les victoires tactiques en progrès politiques et sociaux […]. Ce sera tout l’objet du sommet de N’Djamena », a également insisté Florence Parly. La ministre n’a donné aucune précision sur le possible « ajustement » de Barkhane évoqué récemment par Emmanuel Macron. Selon l’AFP, ils doivent toujours faire l’objet d’arbitrages complexes au sommet de l’Etat. Mais Florence Parly a exclu un désengagement massif. « Barkhane n’est pas éternelle. À court terme, nous allons rester, ce qui n’exclut pas que les modalités de notre intervention évoluent », a-t-elle expliqué aux sénateurs. « Les résultats obtenus nous permettent d’accentuer la stratégie d’accompagnement des armées locales avec nos partenaires et nos alliés sur le terrain ». Elle s’est ainsi félicitée de l’action de la France : « Daech au Sahel est fortement entravé même s’il conserve encore une capacité de régénération importante […] Il convient de noter que depuis janvier 2020 plus aucune attaque d’ampleur n’a été commise. Nous avons neutralisé le numéro un d’Al-Qaida dans la région et un certain nombre de ses cadres. » L’opération « Eclipse », menée en partenariat avec 2000 militaires des forces locales a elle aussi été un succès, selon la ministre. « L’ennemi a été bousculé et surpris. Les groupes terroristes se sont repliés et ont abandonné de nombreuses ressources : motos, pick-up etc. Les forces armées locales sont désormais capables de résister et de répliquer. Elles ne sont plus démunies mais ont encore besoin d’être accompagnées ». Pour rappel, sur le strict plan opérationnel, il n’existe pas de chiffres publics du nombre de djihadistes tués.

« Guerre de l’information »
En plus du terrorisme, s’implante au Sahel une autre menace : la désinformation. Plusieurs sénateurs s’en sont fait l’écho, à l’image de Jean-Marc Todeschini qui a mis en garde contre « les rumeurs nauséabondes pour notre pays. La France n’est pas un pays impérialiste, colonisateur ou destructeur. La France ne poursuit qu’un seul but : la paix ». Jean-Yves Le Drian a confirmé ces inquiétudes. « C’est d’autant plus important qu’on assiste depuis plusieurs mois à des manipulations de l’information au Sahel et à propos du Sahel. Si elles sont d’abord destinées à alimenter sur place un sentiment anti-français […] Elles peuvent aussi risquer de venir brouiller la perception de notre action ici en France », a-t-il dénoncé. La Russie, la Chine, mais aussi la Turquie s’intéressent de plus en plus à la zone. Leurs ombres planent. Dernier exemple en date, une frappe de « Barkhane » ayant visé une filiale terroriste le 3 janvier, à côté de Bounti, un village du Mali, est très contestée. Selon Le Monde, une association peule assure qu’il s’agissait en fait d’un « mariage », mais l’État-major français dément tout dommage collatéral. Cette accusation de bavure a été très relayée sur les réseaux… prorusses et proturcs.

Le 20 janvier dernier devant la commission des affaires étrangères de la Défense du Sénat, Florence Parly avait elle aussi déjà évoqué une véritable « guerre de l’information ».

Publié le : 09/02/2021 à 16:58 – Mis à jour le : 09/02/2021 à 20:58
Par Pierre Maurer

publicsenat.fr

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