Ould Abdel Aziz devant la CPE : Quelle stratégie ?

Hier très puissant et redouté, l’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz, va-t-il accepter de répondre à la convocation des parlementaires ? Telle est la question que se posent les Mauritaniens depuis que la Commission d’enquête parlementaire (CEP) a été mise sur pied pour enquêter sur la dernière décennie de gestion du pays, autour d’une dizaine de dossiers relatifs aux mines, à l’électricité, au foncier, infrastructures et autres bâtiments publics… Le cas échéant, quelle stratégie l’ancien homme fort de Nouakchott adoptera-t-il vis-à-vis du pouvoir d’Ould Ghazwani, son « ami de 40 ans » comme il aimait à le répéter ?

Optera-t-il pour la poursuite de l’escalade et, disons-le, de la confrontation engagée entre les deux camps depuis Novembre dernier ? Ou choisira-t-il l’apaisement, dans le but de s’aménager une porte de sortie et donc une monture pour la prochaine présidentielle ? En pleine polémique sur le troisième mandat et l’interprétation de la Constitution, n’avait-il pas laissé entendre qu’il pourrait se représenter aux suffrages du peuple en 2024 ?

Confrontation ?

Ould Abdel Aziz pourrait mettre à profit la tribune que lui offre la commission d’enquête pour mettre à exécution les menaces proférées lors de sa dernière conférence de presse. Après onze années à la tête du pays et quelques autres à celle du BASEP, l’ex-Président détient certainement des dossiers sur ceux qu’il a servis et ceux qui l’ont servi. D’aucuns lui reprochent d’avoir mis sur écoute beaucoup de responsables, via son conseiller en matière de sécurité. Quoiqu’il en soit, Ould Abdel Aziz reste inébranlable face aux accusations et révélations lancées par ses anciens collaborateurs devant la CEP. Tout en reconnaissant être riche, il affirme qu’aucun sou de sa fortune ne provient des biens de l’État et met au défi quiconque de prouver qu’il se soit enrichi illicitement sur le dos des Mauritaniens. Se sentant lynché par les médias et acculé par le pouvoir qu’il a contribué à installer, soulignant qu’il s’est présenté aux Mauritaniens pour promouvoir la justice sociale et lutter contre la gabegie, l’ex-Président se battra pour laver l’affront à son honneur, à celui de sa famille et de ses proches qui lui sont restés fidèles. Et certes ses détracteurs ne l’ont pas ménagé, avant même son départ du pouvoir, étalant sur la place publique de nombreux dossiers dans le but de l’accabler. Aussi entendrait-il leur administrer une belle raclée lors de l’interrogatoire très attendue. Le tombeur de Sidi ould Cheikh Abdallahi ne ratera certainement pas ceux qui ont eu aujourd’hui la témérité ou l’ingratitude de le traiter de voleur. Mais, comme les faits sont têtus, il risque d’avoir toutes les peines pour se blanchir. Son nom apparait, en effet, dans tous les dossiers traités par la Commission et  les responsables interrogés l’ont unanimement et nommément cité comme étant le donneur d’ordre dans toutes les transactions. Ira-t-il jusqu’à demander une confrontation ? Rien n’est moins sûr, tant il parait désarmé devant tant d’accusations.

Certes, il n’est un secret pour personne qu’Ould Abdel Aziz a « fabriqué » beaucoup de responsables et d’hommes d’affaires pendant ses onze années de règne. Beaucoup d’hommes tirés d’on ne sait où, souvent de singulières médiocrités. Pensait-il qu’ils allaient le protéger lorsque le vent tournerait ? Si c’est le cas, il a tout faux et les comptes-rendus des interrogatoires de la CEP ont fini de convaincre les plus sceptiques qu’en Mauritanie, une fois éjecté du pouvoir, il ne faut compter que sur soi. Tandis qu’il « torturait » à l’inverse nombre de cadres et d’autres hommes d’affaires dont certains ont fini par mettre la clef sous la porte. À moins d’être naïf, pouvait-il s’attendre à ce que ceux-ci omettent de lui rendre la monnaie de sa pièce ? Et ceux-là qu’il a sortis de la misère ne lui jouent pas le sale tour de le lâcher au milieu du gué ? On se rappelle, à cet égard, « l’élégance » avec laquelle ils l’ont quitté, en pleine bataille de la « référence pour l’UPR »…

L’ex-président n’aura-t-il donc pas médité, pendant ses onze années de pouvoir, les leçons du PRDS d’Ould Taya et d’ADIL de Sidi ould Cheikh Abdallahi ? Comme on peut s’y attendre, les membres de la commission d’enquête dont certains ont servi sous son magistère et qui ont peut-être profité de ses grâces en prendront certainement pour leur grade. Il leur rafraîchira la mémoire sur leur gestion. Qualifié de téméraire et de fonceur, par ses admirateurs d’alors, et plus souvent d’arrogant, par ses détracteurs d’aujourd’hui, l’ex-Président n’aurait rien à perdre à abattre ses cartes pour déstabiliser la commission, en mettant en cause la crédibilité de ses membres. Et réussir ainsi à détourner l’attention de l’opinion nationale et internationale ? Manœuvre difficile pour ne pas dire périlleuse…

Zapping ?

Il pourrait tout aussi « bien » refuser de répondre à la convocation de la CEP. En s’abritant derrière les articles de la Constitution indiquant qu’il ne peut être auditionné que par la Haute cour de justice, seule habilitée à juger le Président et les ministres pour des fautes commises dans l’exercice de leur fonction. Un débat à ce sujet fut entamé il y a quelque, à travers la presse et les réseaux sociaux, entre de vrais juristes et autres prétendus experts en Droit. Chacun y est allé de son argumentaire et la discussion est loin d’être close. Mais à en croire un avocat pénaliste, il faut à tout le moins reconnaître les compétences dévolues à la CEP : elle n’est pas une instance judiciaire et peut donc bien entendre l’ex-président de la République, citoyen comme les autres depuis son départ du pouvoir. Entendre n’est pas juger. Quand il s’agira de le faire, il faudra recourir à la Haute cour de justice dont la réactivation serait, dit-on, à l’ordre du jour. Des députés ont soumis une proposition en ce sens à l’Assemblée nationale. Selon un observateur averti, la proposition de remise sur les rails de la HCJ devrait cependant provenir du gouvernement… après réception des recommandations de la CEP… qui devaient tomber fin-Juillet.

Si, entretemps, le « simple » citoyen qu’est redevenu Ould Abdel Aziz le 1er Août 2019 refuse d’être auditionné par les parlementaires, il devra tirer les conséquences d’avoir mis mal à l’aise, non seulement la CEP mais aussi le pouvoir de son successeur. Les questions s’enchaînent : quelle mesure pourrait alors prendre la commission ? User de la force pour contraindre l’ex-Président à comparaître ? Mais en a-t-elle la prérogative ? Quand la CEP a demandé l’élargissement de ses compétences pour fouiller d’autres dossiers liés aux sept premiers, d’aucuns ont cru qu’elle cherchait à pouvoir user de la force, au cas où l’ex-Raïs refuserait de répondre à sa convocation. Mais si elle y recourait, ne renforcerait-elle pas le sentiment d’humiliation et de harcèlement que dénoncent les proches d’Ould Abdel Aziz, au risque de faire de celui-ci une victime, avec des retentissements politiques très difficiles à gérer ? Autre question, Ghazwani laissera-t-il la commission agir ? Ce dossier met manifestement à rude épreuve le pouvoir du nouveau Président… Cela dit, beaucoup de mauritaniens pensent qu’en dépit de la pression entre les deux amis, le point de non-retour n’est pas encore atteint, leurs relations demeurent fortes… Se joueraient-ils du peuple ? Ce que le pouvoir fera des recommandations de la CEP devrait documenter la réponse…

Scandale de la BCM, autre épine dans les pieds de Ghazwani ?

Alors que tous les yeux étaient braqués sur les travaux de la CEP en phase d’auditionner l’ex-président de la République suspecté de détournements de deniers publics, via la gestion douteuse d’une dizaine de dossiers particulièrement juteux, voilà que surgit un nouveau scandale. Manifestement au mauvais moment pour le pouvoir qui joue sa crédibilité. Ould Ghazwani aujourd’hui, comme Ould Abdel Aziz hier, s’est engagé à lutter contre la gabegie et pour la justice sociale. Il doit le prouver. Dans son exploitation des imminentes recommandations de la CEP, comme dans la transparence de l’enquête visant à élucider ledit  scandale qui interpelle fortement les Mauritaniens.

Comment une simple caissière peut-elle soustraire, dans une banque centrale garante de la monnaie nationale, « 935.000 euros et 558.000 dollars américains », déclare la BCM, alors d’autres sources parlent de plus de deux millions de dollars US ? Comment de faux dollars peuvent-ils être introduits si facilement en une telle institution ? Tout laisse à penser que ladite caissière n’a pu agir seule et aurait bénéficié de complicités (commanditaires ?) que l’enquête doit rapidement identifier.

Même si la BCM a promis, dans son communiqué, d’agir fermement et dans la transparence, son image a pris un sérieux coup de ride. Le scandale vient prouver, une fois encore, que le combat contre la gabegie n’est pas une mince affaire ; ce ne doit pas rester un slogan creux, comme cela le fut sous Ould Abdel Aziz. Ghazwani doit en tirer toutes les conséquences et agir en meilleure connaissance de causes et d’effets, lui qui a côtoyé son ami pendant plus de dix ans.

Aujourd’hui, les Mauritaniens craignent de voir cet énième scandale faire les frais d’intérêts tribaux. Des chameaux avaient été immolés, on s’en souvient tous, à la sortie de prison d’un responsable politique accusé de détournement de deniers publics. En Mauritanie affichée islamique, le détournement de deniers publics, la triche, le viol, les crimes de toutes sortes sont devenus sports nationaux. Nommé au gouvernement ou à la tête d’une institution, un cadre s’entend dire qu’il lui faut profiter sans tarder de son séjour qui peut être court. Et le cambriolage, intervenu quelques heures après la révélation du scandale de la BCM à la direction du Budget et des Comptes du ministère de Finances, en ajoute une sérieuse couche au trouble des Mauritaniens…

Dalay Lam

lecalame.info

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