Pourquoi tant d’adversité de Berlin à l’ encontre du Maroc ?

L’étrange “ alliance stratégique ” de l’Allemagne avec la junte d’Alger

​Agnieszka Brugger La livraison d’une usine de chars à l’Algérie est une rupture irresponsable d’un tabou de la politique allemande d’exportation d’armes.

L’Allemagne a donné le coup de grâce au Maroc lors du voyage de courtoisie et d’affaires effectué par la chancelière Angela Merkel en Algérie en juillet 2008 lorsqu’elle est allée faire la cour au régime militaire qui impose sa dictature au peuple algérien depuis l’indépendance en 1962.

C’est à cette occasion qu’elle a scellé ce qu’elle a appelé une « alliance stratégique » avec la junte au pouvoir : le pétrole et le gaz algériens contre les armes de guerre les plus modernes. Par conséquent, elle a lancé une coopération militaire de grande envergure (plus de 12 milliards d’euros) qui prévoyait la vente de navires de guerre et la construction en Algérie d’une usine d’armement sophistiquée, encadrée par des spécialistes allemands et destinée à produire les meilleurs chars du monde sur place, les fameux FUCHS 2, à raison de plus d’une centaine par an ! Chars convoités même par les USA ! L’usine a déjà produit 120 chars en 2018 et 120 autres en 2019.

L’Allemagne a planifié la production en Algérie de 1200 chars en dix ans. Il faut dire que le mot « Fuchs » veut dire « renard » ; il rappelle la « grande épopée » en Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale du général allemand Rommel qu’on surnommait « le renard du désert » (Wüstenfuchs). Quelle sensation extraordinaire doit produire chez certains nostalgiques du nazisme les images des chars allemands qui roulent de nouveau irrésistiblement dans le Sahara de l’Afrique du Nord ! Quelle vive émotion que de revoir ce logo de « l’Afrikakorps » où la croix gammée se positionne devant un palmier oriental, dont les bouts des branches sont stylisés à l’image des serres de l’aigle allemand ! Cette coopération fonctionne toujours très bien et se renforce continuellement à telle enseigne que l’Algérie est depuis quelques années le premier importateur de matériel de guerre made in Germany. Les transactions de plusieurs milliards offraient de belles occasions pour des dessous de table juteux. Le Hirak algérien, mouvement de protestation qui réclame la chute du régime militaire et l’établissement d’un Etat de droit, demande régulièrement des comptes aux responsables. Une campagne similaire devrait être organisée en Allemagne aussi pour enquêter sur de possibles cas de corruption active ou passive parmi l’équipe d’Angela Merkel. Les cas avérés de corruption et les traces attestées en Algérie, relatives à ces transactions énormes, ont peut-être des prolongements en Allemagne. Qui sait ? Pour arriver à ses fins, le gouvernement Merkel viole délibérément la Constitution allemande qui, dans son préambule même, incite l’Etat à œuvrer pour la paix dans le monde : « dem Frieden in der Welt dienen ».

Il se moque également des principes définis par les gouvernements allemands dans des documents officiels pour présider à ces transactions fort sensibles. Il y est formellement interdit d’exporter de l’armement à des pays qui ne respectent pas les droits des humains. La garantie de la paix y est aussi retenue comme principe fondamental. Il y est interdit également d’exporter vers des régions à risque, c’est-à-dire vers des régions où un conflit armé risque d’éclater. (Maroc-Algérie) Un autre principe préconise que les armes allemandes ne doivent pas être exportées s’il y a danger qu’elles soient réexportées ou mises à la disposition d’un autre pays ou d’une autre entité (Polisario!).

Sans vouloir entrer dans les détails, il est intéressant de signaler que, selon les principes allemands en vigueur, il est formellement interdit d’exporter de l’armement si les relations avec un pays, avec lequel la RFA entretient de bonnes relations, risquent d’être mises en péril, ce qui est le cas des relations entre le Maroc et l’Allemagne. C’est ce qu’on a pensé jusqu’à présent. Et c’est finalement le « Conseil fédéral de sécurité » qui statue sur toutes ces questions.Il est constitué de neuf membres permanents dont la chancelière Angela Merkel. Parmi les ministres toujours présents, citons ceux des Affaires étrangères, des Finances, de la Défense et du Développement. Il fonctionne comme un « Conseil de guerre ». Ses délibérations sont secrètes et ses décisions ne sont soumises à aucun contrôle, parlementaire ou autre. Cette disposition est garantie curieusement par la Constitution. L’opinion publique n’est même pas censée être informée des dates des réunions à huis clos. Et les procès-verbaux des délibérations sont considérés comme un secret d’Etat. Pour le cas du Maroc, il est important de signaler que quatre partis sont derrière ces décisions hostiles au Maroc : la CDU, la CSU, le SPD et le FDP, partis qui sont représentés au Maroc parleurs associations, à savoir la « Konrad-Adenauer-Stiftung », la « Hanns-Seidel-Stiftung», la « FriedrichEbert-Stiftung » et la « Friedrich-NaumannStiftung ».

Donc, attention aux « Stiftungen » ! Et pour mettre la dernière touche à ce tableau lugubre, citonsles vives critiques qui ont été exprimées par le parti des « Verts » : “La livraison d’une usine de chars à l’Algérie est une rupture irresponsable d’un tabou de la politique allemande d’exportation d’armes”, a déclaré Agnieszka Brugger, porte-parole de la politique de sécurité et de désarmement. « Avec cet accord, le gouvernement fédéral permet à un régime autoritaire dominé par l’armée et dont la situation des droits de l’Homme est très problématique, de produire lui-même des chars pour la première fois. C’est en contradiction totale avec les directives allemandes sur l’exportation d’armes.»Voir le journal “Handelsblatt” du 18/06/2014. Pour comprendre que cette démarche germano-algérienne est bien dirigée contre le Maroc, il est essentiel de se faire une idée de l’emplacement stratégique de cette fameuse usine. Elle a été construite bien loin des frontières marocaines à 400 km à l’Est d’Alger, hors de portée d’une menace éventuelle du Royaume. Mais la junte militaire algérienne et ses collaborateurs allemands ont oublié que la Tunisie a également été lésée par l’héritage colonial des frontières françaises défendu jalousement et avec acharnement par les généraux algériens. Il est donc tout à fait clair que le Royaume n’a pas affaire avec l’ennemi (l’Allemagne) de mon ennemi (la junte algérienne), comme on dit d’habitude, mais bien évidemment avec l’ami (l’Allemagne) de mon ennemi (l’Algérie des généraux, et non pasl’Algérie du peuple algérien frère !).

Par Fawzi Boubia

Né à Khémisset, a étudié aux universités de Heidelberg (PhD) et de Paris-IV-Sorbonne (Habilitation). Il a enseigné l’histoire des littératures et des civilisations aux universités de Rabat et de Caen. Il a également été chargé de cours aux universités de Heidelberg et de Karlsruhe. Boubia est écrivain et philosophe, spécialiste des relations “Orient-Occident”. Il écrit ses articles et livres en allemand, mais aussi en français et en arabe. Récente publication:« Von Deutschland lernen: Goethe und Hegel», PalmArtPress, Berlin, 2021, 320 pages, Mit einem Geleitwort von Hans Christoph Buch. Il vient de rédiger un roman sur l’exclusion des étrangers en Allemagne : « Ich bin ein Migrationshintergrund ». Sa publication est programmée pour 2022 chez le même éditeur

libe.ma

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