Président un jour, intouchable pour toujours ?

[Tribune] Président un jour, intouchable pour toujours ?
24 janvier 2021 à 12h10 | Par Yann Gwet

L’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz revendique une immunité absolue. Un principe fondamentalement antidémocratique car il consacre une hiérarchie entre citoyens du même pays et une inégalité devant la loi.

L’affaire est passée quelque peu inaperçue dans le tourbillon des élections contestées de l’année 2020 en Afrique francophone. L’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz est visé par une enquête préliminaire pour des faits supposés de corruption. Une commission d’enquête parlementaire a révélé, fin juillet 2020, de nombreuses irrégularités liées à la passation d’une série de marchés publics sous sa présidence. Le principal intéressé a été placé en garde en vue du 17 au 24 août, avant d’être auditionné à plusieurs reprises. Plusieurs médias locaux et internationaux rapportent que son passeport lui a été retiré, et ses comptes bancaires gelés.

Les avocats de l’État mauritanien contestent le principe de l’immunité absolue accordée au président de la République, précisant que cette immunité protège le chef de l’État uniquement dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs, si la HCJ n’était pas encore sur pied au début de cette affaire, la nouvelle session parlementaire qui s’est ouverte au début de janvier en Mauritanie a voté la loi sur la constitution de cette cour, désarmant ainsi en partie la défense d’Ould Abdelaziz.

EN L’ABSENCE DE « RÉPUBLIQUES » DIGNES DE CE NOM, NOUS AVONS HÉRITÉ DE ROIS THAUMATURGES

À l’instar de la Constitution française, donc, les Constitutions des pays d’Afrique francophone garantissent généralement une forte protection au président de la République dans l’exercice de ses fonctions. Rien à voir sur ce point avec la relative précarité qui caractérise le titulaire du Bureau ovale. Mais, en République, ce n’est pas tant la personne du président qui est sacralisée que l’institution, c’est-à-dire la présidence de la République. Ou, plus précisément, c’est parce que l’institution est sacrée que celui qui l’incarne jouit d’un statut particulier.

Citoyen ordinaire

Au bout du compte, l’immunité absolue que revendique l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz – et que ne renieraient pas nombre de ses homologues – est fondamentalement antidémocratique car elle consacre une hiérarchie entre citoyens du même pays et une inégalité devant la loi. Les anciens présidents appartiendraient à une sorte d’aristocratie dont la seule légitimité serait d’avoir un jour été portés, par le peuple souverain, à la fonction suprême : président un jour, président pour toujours.

Logique d’impunité

Au-delà du cas mauritanien, il n’est pas difficile d’imaginer les raisons pour lesquelles les présidents africains aspirent à une immunité éternelle. Beaucoup se rendent coupables de crimes si graves que seule une immunité absolue peut les soustraire à la justice. Certains plaident en sa faveur au motif qu’elle constituerait une réponse au problème des présidences à vie. En clair, certains chefs de l’État qui hésiteraient à lâcher le pouvoir par peur de poursuites seraient plus enclins à le faire s’ils se savaient protégés.

Par Yann Gwet

Yann Gwet est un essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Rwanda.

SourceURL:https://www.jeuneafrique.com/1108813/politique/president-un-jour-president-toujours/

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