Quand Boukadoum mettra-t-il fin au massacre

En s’entêtant à vouloir ponctionner le Maroc d’une partie de son territoire, Alger ne rend service ni à elle-même, ni à la région et à ses peuples.

C’est à un bien curieux activisme diplomatique que s’adonne, depuis quelques semaines, l’Algérie en Afrique. Depuis le tournant de l’année, on voit le ministre des Affaires étrangères de la voisine de l’Est, en l’occurrence Sabri Boukadoum, traîner ses guêtres dans les quatre coins du continent: ici en tournée, du 11 au 15 janvier 2021, en Afrique du Sud, au Lesotho, en Angola et au Kenya; là, les 25 et 26 janvier, en République démocratique du Congo (RDC)

pour en être reçu par le président Félix Tshisekedi, qui devait aussi prendre cette semaine à Addis- Abeba la présidence de l’Union africaine (UA) à l’occasion du 34ème sommet de l’organisation qu’accueille les 6 et 7 février la capitale éthiopienne; sans parler de la Libye, où lui et le président du conseil présidentiel du gouvernement d’union nationale libyen se sont notamment entretenus, le 27 janvier, au sujet des “derniers développements de la situation” dans le pays.

M. Boukadoum a, en même temps, échangé, en marge de sa visite en RDC, avec son homologue soudanais Omar Kamareddine Ismail, qui se trouvait alors également en Afrique centrale, ainsi qu’au téléphone, le 2 février, avec les chefs de la diplomatie de Tunisie, Othman Jerandi, du Tchad, Amine Abba Siddick, et d’Afrique du Sud, Naledi Pandor, avec qui il discutait pour la deuxième fois en moins de trois semaines.

Véritable percée
Qu’est-ce qui explique cette tentative de retour à l’avant-scène africaine de la part d’Alger? Car tout au long de ces dernières années, la capitale algérienne s’était plutôt démarquée par son absence à ce niveau. Ce dont a d’ailleurs bien su profiter le Maroc, en effectuant une véritable percée dans le continent. La junte algérienne s’était, ainsi, montrée incapable, fin janvier 2017, d’empêcher l’adhésion du Royaume à l’UA, ne recueillant que le soutien d’une dizaine de pays dont principalement l’Afrique du Sud et ses États satellites en Afrique australe.

Rabat, en revanche, avait su compter sur l’appui formel de vingt-huit pays, signataires dès juillet 2016 d’une lettre en sa faveur à l’adresse du président tchadien et président alors en exercice de l’UA, Idriss Déby Itno, et réclamant la suspension de la soi-disant “République arabe sahraouie démocratique” (RASD), que l’Algérie souhaite installer au Sahara marocain et dont l’admission en novembre 1984 à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) avait été derrière le retrait du Maroc des instances africaines.

Et ces mêmes pays sont passés, à partir de décembre 2019, à la vitesse supérieure, en ouvrant des consulats dans les provinces sahariennes, à Laâyoune et Dakhla. Et si l’Algérie, quand ce furent les Comores qui franchirent d’abord le pas, dénonça au départ une “mesure d’une gravité exceptionnelle” et rappela même, le 20 février, son ambassadeur en Côte d’Ivoire, Mohamed Abdelaziz Bouguetaia, après que le ministre de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur, Ally Coulibaly, eut déclaré deux jours plus tôt, à l’occasion de l’inauguration de la représentation diplomatique de son pays, qu’“en matière de politique étrangère, comme dans d’autres domaines, nous nous gardons de donner des leçons de morale, de même nous n’entendons pas qu’on nous dicte ce que nous devons faire ou ne pas faire”, le régime algérien est, au fur et à mesure, devenu bien coi, surtout que le monde arabe avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et la Jordanie est également venu se joindre, à partir du 27 octobre, au mouvement, mais aussi, bien sûr, le 10 décembre 2020, la première puissance mondiale, à savoir les États-Unis.

L’“ennemi” marocain
Il est loin, de fait, le temps où l’Algérie était encore vraiment influente et où sa “diplomatie contestataire”, comme la qualifie le politologue français Bertrand Badie, était citée comme modèle d’efficacité. Sans cette diplomatie, ce serait depuis belle lurette que l’affaire du Sahara marocain aurait d’ailleurs été enterrée, car ce qui relevait originellement d’un processus de récupération tout-àfait normal de territoires perdus du temps de la colonisation franco-espagnole s’est mué par un jeu d’intérêt on ne peut plus perfide en conflit.

Mais la donne a changé, à telle enseigne que dans une tribune publiée le 13 décembre l’ancien ministre de l’Economie algérien, Mourad Benachenhou, se lamentait de “l’effondrement diplomatique” de son pays. “Les ennemis déclarés ou cachés de l’Algérie profitent de sa faiblesse, momentanée -il faut l’espérer- pour faire avancer leurs pions et lui enlever une fois pour toutes tout poids même dans son propre espace géopolitique,” accuse notamment le concerné, en faisant référence à “la toute récente évolution à l’ouest de notre pays”, c’est-à-dire au Maroc.

Ce qui en dit long, au passage, sur l’état d’esprit d’une certaine nomenklatura algérienne, voyant donc le Royaume comme un de ses “ennemis” -le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement algérien, Ammar Belhimer, vient même d’accuser, dans une interview publiée le 25 janvier par le journal électronique Sabq Press, Rabat ainsi que Tel-Aviv et Paris de vouloir “nuire à l’Algérie”- alors même que la partie marocaine met depuis novembre 2018 sur la table la création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation et ne fait, au demeurant, que défendre son intégrité territoriale.

Il n’y a, en tout cas, pas grand-chose sans doute à espérer pour l’Algérie, si l’objectif en est de persister à ponctionner le Maroc d’une partie de son territoire, des déplacements africains de M. Boukadoum, car quelle que soit la force de frappe diplomatique de l’un ou de l’autre la donne a de toute façon changé: au-delà du caractère historique de la souveraineté du Royaume sur son Sahara, il est aussi des considérations sécuritaires qui font que “l’Occident, les Etats-Unis et l’Europe ne veulent pas de l’établissement d’un Etat séparant la Mauritanie et le Maroc géographiquement” comme l’avait confié l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz au journaliste palestinien Abdel Bari Atwan pour un article publié début avril 2019 dans le média électronique panarabe Rai Al- Youm.

Elle est d’ailleurs là la raison derrière le soutien obtenu, et ce au niveau même du secrétariat général de l’Organisation des Nations unies (ONU), par l’opération des Forces armées royales (FAR) le 13 novembre 2020 dans la zone tampon de Guergarat, à la frontière maroco-mauritanienne, pour en déloger des éléments du mouvement séparatiste du Front Polisario qui s’y trouvaient depuis une vingtaine de jours et qui bloquaient la circulation des biens et des personnes.

Et du reste, l’Algérie n’a tout simplement plus les moyens de tenir la dragée haute au Maroc. Financiers d’abord: la junte algérienne ne peut plus, comme chacun sait, compter sur les subsides du pétrole, qui des années durant lui ont assuré une manne confortable mais qui, le prix du baril étant depuis juillet 2014 sur la pente descendante, se sont complètement taris -le Maroc, en dépit d’un produit intérieur brut (PIB) deux fois inférieur, compte désormais des réserves de change supérieures. Mais surtout de leadership: l’Algérie voit depuis près de huit ans se succéder, à sa tête, des hommes grabataires et malades.

Déficit de leardership
Un affaiblissement avait, depuis avril 2013, commencé à se dessiner suite à l’accident vasculaire cérébral subi par l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, lui qui fut par contraste, à la tête du ministère des Affaires étrangères sous la présidence de Houari Boumédiène, un des artisans des succès diplomatiques algériens dans les années 1960 et 1970 et, une fois devenu lui-même en avril 1999 chef de l’État, fut en Afrique notamment derrière le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) -resté, toutefois, sans suite. Et si Abdelmadjid Tebboune, qui a pris le relais de M. Bouteflika au palais d’El Mouradia, a donné l’impression d’être en mesure de réinsuffler un peu de dynamisme au marigot local, il n’en a pas moins été rattrapé par ses habitudes tabagiques -grand fumeur, selon ses proches- au moment où la Covid-19 a frappé, fin octobre 2020, à sa porte: sauf pour un bref intermède de dix jours au Nouvel An, l’ancien Premier ministre est demeuré principalement en Allemagne, où il est suivi de près dans des cliniques du pays.

Ce qui fait qu’on en est, au final, revenu à la situation d’avant, seuls les hommes ayant changé. Suffisant aussi, par ailleurs, pour relancer la contestation populaire dans le pays, après un gel de près d’un an à cause de la pandémie -une importante marche a notamment eu lieu le 31 janvier 2021 à Jijel, en Petite Kabylie.

En Afrique en particulier, l’Algérie en est devenue aujourd’hui décrédibilisée et, n’était l’Afrique du Sud, elle se trouverait sans doute plus isolée qu’elle ne l’est déjà. Au niveau de l’UA, on se refuse, ainsi, désormais, de se saisir de la question du Sahara marocain, alors que l’organisation tentait encore, fin juin 2014, de nommer l’ancien président mozambicain Joaquim Chissano comme envoyé spécial dans la région.

Et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de l’imposer: le diplomate algérien Smaïl Chergui a, par exemple, principalement consacré ses derniers mois à la tête du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA à vouloir mettre le dossier sur le tapis, allant même jusqu’à trafiquer, début décembre, les documents du sommet d’Addis- Abeba -ce dont les instances dirigeantes africaines lui ont, selon des sources proches, tenu rigueur.

On explique même, dans certains milieux, les voyages continentaux de M. Boukadoum par le fait de vouloir prévenir l’exclusion de la soi-disant “RASD” de l’UA, celle-ci étant dans le pipe du fait que plus des deux tiers des États membres y seraient dorénavant favorables.

Les échecs algériens sont également, au plan régional, patents: l’Algérie a ainsi condamné le renversement, le 18 août 2020, du président malien Ibrahim Boubacar Keita bien qu’il s’agissait là d’une revendication populaire, n’étant dès lors plus susceptible de jouer un rôle dans la transition -contrairement au Maroc qui, en moins de deux jours, avait d’ores et déjà pris langue, par le biais de l’ambassadeur Hassan Naciri, avec les putschistes-; et en Libye elle a voulu imposer une solution impliquant les pays du voisinage et excluant, de facto, le Royaume, sans se rendre compte que les Libyens aspiraient en fait à vouloir mettre fin d’eux-même à leur conflit -M. Boukadoum a finalement lui-même fini par plaider, en présence de M. el-Sarraj, en faveur du “dialogue libo-libyen”.

Ce dimanche 31 janvier, le roi Mohammed VI et le président nigérian Muhammadu Buhari ont par ailleurs signé, au cours de leur appel téléphonique, l’acte de décès du gazoduc transaharien qui devait à l’origine rallier le Nigéria à l’Algérie et de là l’Europe en passant par le Niger pour lui préférer l’Afrique Atlantique dont l’accord afférent avait été conclu le 10 juin 2018 à Rabat et qui doit traverser onze pays d’Afrique de l’Ouest jusqu’au territoire marocain. À se demander quand la junte algérienne voudra se rendre à la raison…

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